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Il doit être aux alentours de vingt-deux heures et demi lorsque le tram s'arrête pour une nouvelle fois. Debout pour ne pas plonger dans un long sommeil, les écouteurs aux oreilles, je rive mon regard vers les portes. C'est cet arrêt, c'est le bon. La première personne qui entre s'assoit très rapidement, probablement fatiguée par une longue journée de travail comme beaucoup de gens. Mais je n'ai même pas besoin de regarder la seconde personne pour la reconnaître, seul son parfum me suffit pour me rappeler son visage familier, mais en même temps me rappeler qu'elle m'est inconnue. Elle avance timidement, ou plutôt, après l'avoir regardé attentivement, je me rends compte que c'est plutôt avec un air exténué qu'elle s'installe sur un siège.

Malgré qu'elle se soit assise loin, je ressens dans mon cœur, tout près de moi, la tristesse qui la chagrine et qui la met dans cet état. J'aurais voulu lui tendre main pour lui être un guide ce soir, pour qu'elle puisse s'exprimer au lieu de retenir ses ennuis dans ses larmes. Elle a l'air d'être plus pâle que les jours précédents, mais je me dis que c'est peut-être à cause de la fin de semaine. En espérant tout simplement qu'elle pourra se reposer et reprendre des forces demain.

«Excusez-moi..» je ressens tout à coup une petite tape sur mon épaule. Je retire immédiatement mes écouteurs puis m'excuse, car qui sait, peut-être qu'elle a patienté longtemps avant que je m'en rende compte. «Pourrais-je emprunter votre téléphone pour passer un appel? Je comprend si vous refusez, mais c'est urg–»

Voyant l'état de la jeune fille, je ne doute pas de son honnêteté et lui tend mon portable après avoir retiré les écouteurs branchés. Nos regards se croisent pour la première fois de la soirée avec Ariana, et je ne peux m'empêcher de continuer à la regarder. La fatigue se lit tellement bien à travers ses cernes, ses traits plus marqués que, par réflexe, comme si nous sortions d'une dispute plus intense qu'une tempête, je lâche un long soupir de désespoir. De nature plutôt réservé, mais aussi timide, je peux seulement l'observer jusqu'à son départ, sans pouvoir la consoler, lui dire que tout ira bien demain, que cette nuit guérira ses blessures.

«Je vous remercie du fond du cœur, vous avez fait quelque chose de tellement bien pour moi ce soir que je prierai pour vous.»

Trop occupé à la saluer de la main, je remarque au dernier moment qu'Ariana s'est déjà levée de sa place pour sortir. Tout de suite après son premier pas vers l'extérieur, je sors à mon tour. Certains diront que je suis obsédé, d'autres amoureux, d'autres à la conquête. Et je leur répondrai que c'est par inquiétude que je la suit de près. Cette ville est blindée de tout types, mais certains d'entre eux sont vraiment dangereux pour elle qui se promène seule dans ces rues inconnues le soir. De plus, son état physique est assez inquiétant pour que je puisse la laisser seule, sans compagnie. Non, je n'entrerai pas chez elle pour attendre qu'elle s'endorme en paix, je m'assurerai seulement de la voir rentrer chez elle sans qu'il ne lui arrive quoi que ce soit.

Nous nous arrêtons tous les deux brusquement, plutôt avec quelques secondes d'écart; sa main gauche se pose contre le mur à ses côtés, lui permettant de mettre son poids du côté gauche, tandis que sa main droite se pose sur son genou. Lorsque j'étais quasi sûr de moi qu'elle allait s'accroupir pour vomir, elle se mit à pleurer. S'en suivit pas un seul ou deux sanglots, mais un bon nombre pour la pousser à bout. Et je suis simplement spectateur de sa tristesse.

«Inspire, expire, ça te passera, tu as réussi jusqu'à aujourd'hui...Inspire, exp–..» il ne lui fallut pas plus longtemps pour s'écrouler au sol. Par réflexe, je me précipite pour la rattraper et tenter de la réveiller, mais ce dernier fut un geste inutile de ma part, sûrement par manque d'anticipation. Et c'est pour la première fois que je vois d'aussi près son visage, pour la première fois que je peux être aussi proche d'elle sans aucune timidité. Mais c'est aussi pour la première fois qu'elle ouvre ses yeux dans mes bras, confuse qu'elle soit.

opiumOù les histoires vivent. Découvrez maintenant