HEARTBREAKER (reecriture 2024)

VII

Le réveil fut plus difficile que prévu. J'eus la nausée et me senti faible. Peut-être était-ce la peur de quitter le foyer pour commencer à vivre ma vie, loin de mes parents. Ou encore ces fichus symptômes de grossesse. J'avais encore du mal à m'y habituer. Je n'étais d'ailleurs pas sûre d'y réussir un jour. Je bus un verre d'eau et croquai dans un morceau de pain. La liste des aliments que je ne supportais plus était devenue plus longue que celle des aliments que je pouvais manger. Tout m'irritait, tout me dégoûtait. Ma personnalité était changeante, j'en avais bien conscience.

Ma mère entra dans la pièce. Ses yeux étaient gonflés et je compris tout de suite qu'elle avait dû pleurer toute la nuit. Elle fut suivie par mon père qui semblait n'avoir pas dormi de la nuit. S'ils voulaient me faire culpabiliser de mon départ, ils avaient bien réussi leur coup. Pendant quelques secondes, je me dis que rester avec eux une année de plus ne paraissait pas si mal. Puis, je me rappelai de mes idées, de mes projets que j'avais mis si longtemps à préparer. Je ne pouvais pas laisser tous ces imprévus gâcher mes plans.

- Bien dormi ?

Je hochai la tête, peu convaincue de ma propre réponse. J'avais pensé à Justin, à Caleb, aux professeurs et à mes camarades de classe. J'avais paniqué. Et si les gens se moquaient de moi ? Si Caleb avait honte d'être ami avec moi et me laissait tomber ? Et si Justin venait à être au courant ? Je me fis les pires scénarios, y compris celui d'accoucher en pleins cours.

- C'est le grand jour, dit tristement ma mère. C'est passé si vite !

Vite ? Pour moi, ces derniers jours avaient semblé durer une éternité. J'avais eut l'impression d'être bloquée dans un foutu rêve. Le genre dans lequel tu as l'impression de marcher à travers une forêt. Tout le temps. La plupart du chemin, c'est bien. Ça peut être beau, même parfois paisible. Mais tu sais déjà qu'à un moment donné, tu vas forcément tomber sur ces parties de la forêt que tu ne connais pas avec ces coins sombres et dangereux. Tu savais qu'ils arrivaient, mais tu ne savais pas exactement à quel moment. Et c'est là que le rêve devient encore plus effrayant parce que c'est là que tu peux te perdre, même y laisser ta vie. Mais la seule chose que tu peux faire est simplement continué à marcher puisqu'il n'y a pas d'autre issue. Tu continues jusqu'à suffoquer.

- Shanel ?

Je fus interrompue dans mes pensées. Mes parents me fixaient, attendant une quelconque réponse. Je ne savais pas de quoi ils parlaient et ils le remarquèrent.

- Ma chérie, on voit bien que ça ne va pas. On peut décaler ton départ si tu le souhaites.

- Non, ça va. Vous disiez ?

Ma mère soupira mais ne fit aucune remarque. Elle me dit simplement que ce serait bien de faire un stock de vitamines et de compléments pour partir, que j'en aurais besoin. Je lui répondis qu'on s'arrêterait sur la route en partant et elle disparut de la pièce.

- Caleb a appelé, me dit mon père. Il est excité comme une puce ce gamin !

Je n'étais pas surprise. Caleb avait date de quitter son foyer : il planifiait déjà ses futures soirées et le genre de fille avec qui il sortirait. Il avait déjà fait des recherches sur les meilleurs clubs de la ville et avait rejoint sur Facebook un groupe d'étudiants. Justin n'était pas le seul qui pensait qu'à s'amuser, mon meilleur ami aussi. Peut-être était-ce un truc de garçon.
On sonna à la porte et je ne fus pas surprise de le voir débarquer à la cuisine. Coiffé, habillé, il était déjà prêt à quitter la ville. Il fut suivi par Monsieur et Madame Miller, les bras bien chargés. Callie me demanda comment se passait la grossesse et me donna des conseils. Elle me dit que je finirais par ne plus supporter son fils mais qu'il ne fallait pas qu'on se fâche trop souvent. Je ris car entre Caleb et moi, le plus susceptible était bien lui.

Ma dernière valise fut rangée dans le coffre. Callie ne pouvait pas nous accompagner alors nous prirent du temps pour lui dire au revoir. Elle fit couler quelques larmes puis Caleb et moi montèrent dans la voiture de son père et mes parents dans la leur. Je ne souhaitais pas faire le voyage avec eux. Ma mère allait sûrement pleurnicher pendant tout le trajet et mon père allait sûrement tenter de me convaincre de rester. Le père de Caleb lui était cool. Il avait mit la radio à fond et chantait à tue-tête.

Somewhere over the rainbow
Way up high,
There's a land that I dreamed of
Once in a lullaby,
Somewhere over the rainbow
Skies are blue,
And the dreams that you dare to dream
Really do come true,

- Shanel, tu te rends compte qu'on y arrive enfin ? On a planifié cela si longtemps, c'est incroyable !

On dirait presque qu'il avait des étoiles dans les yeux.

- Promets-moi que tu ne vas pas m'abandonner pour te faire de nouveaux amis. Que tu seras toujours là pour moi, même quand je serai un peu chiante.

- Mais non, tu le sais bien.

- Même quand les choses vont se compliquer et que je vais ressembler à une baleine.

- Shanel...

- Promets-le alors.

- Promis. S'il le faut, ton bébé pourra même m'appeler papa Caleb.

Il me fit rire et ça me fit du bien.

- J'en demande pas autant mais merci pour la proposition. Le bébé sera déjà heureux de pouvoir compter sur tonton Caleb.

J'avais besoin d'être rassurée et il le fit. Il me montra son petit doigt et j'y accrochai le mien. C'est promis. Nous restâmes comme cela quelques secondes avant que je ne me sente nauséeuse et que Monsieur Miller dû s'arrêter.
Le trajet promettait d'être long mais j'étais prête à arriver à destination. J'étais décidée, rien ni personne n'allait me stopper. Je quittais enfin la ville.