Le premier éclair de la soirée fend le ciel, apporte une lumière jaillissante dans le ciel et bientôt s'en suit un coup de tonnerre assez puissant pour faire trembler les murs de la petite librairie. Depuis quelques jours, la chaleur est assommante, insoutenable. Ils doivent laisser les portes et les fenêtres des différents commerces ouvertes partout afin de laisser circuler un minimum d'air, même si celui-ci n'est pas frais pour autant. Forcément, le temps allait changer, craquer. Il est dix-huit heures six et normalement à cette époque de l'année le ciel devrait encore être clair. Mais là, il n'est plus qu'un énorme amas de nuages noirs, menaçants.
Depuis la caisse, Harry observe l'extérieur et l'averse qui ne va pas tarder à tomber. D'une seconde à l'autre. La tempête. Ils l'ont annoncé aux informations. Une dégradation climatique. Il tend le sachet avec les deux livres à la cliente qui lui sourit et se dépêche de sortir afin de rejoindre sa voiture. Avant le déluge. Harry sait qu'il n'y échappera pas. Sa journée se termine dans vingt cinq minutes et c'est à lui de fermer boutique ce soir. Le Jeudi est un jour très calme et il laisse généralement ses employés partir une heure avant la fermeture. Afin d'occuper son temps libre, il va ranger les derniers livres déplacés par certains clients dans les rayons quand la cloche de la porte d'entrée se fait entendre. Harry revient vers la caisse, il pensait avoir eu son dernier client de la journée après cette femme car personne ne serait assez fou pour se rendre dans une librairie par un temps pareil.
Son sourire chaleureux tombe lorsque son regard se pose sur la personne qui vient de franchir le seuil de la porte. Un soupir agacé sort d'entre ses lèvres qu'il serre entre elles pour ne pas faire de remarques mauvaises.
– Qu'est-ce que tu fais là ?
– Ce que la plupart des personnes font quand elles rentrent dans une librairie, acheter un livre.
– Qu'est-ce que tu fais vraiment là ?
Cette conversation le mène déjà à bout de nerfs, il reprend les livres sur le comptoir de la caisse et retourne entre les rayons pour aller les ranger. Peut-être qu'en ne voyant pas son visage, il lui sera moins facile de s'énerver. Sauf que, évidemment, le nouvel arrivant le suit à la trace et laisse ses yeux reposer sur les étales de livres autour d'eux. Harry serre les dents et remet deux livres en place, se retourne ensuite vers lui, son visage tendu.
– Sérieusement est-ce que tu pourrais partir ?
– Pourquoi, ce n'est pas fermé encore ?
– Je suis le patron, c'est moi qui décide.
– Le client est roi.
Le sourire satisfait sur le visage du jeune homme en face de lui traduit sa victoire. De toutes manières, Harry savait qu'il avait perdu dès que son regard a rencontré le sien. Il n'a jamais gagné quoi que ce soit avec lui. Pas même des bouts de ruban adhésif pour réparer son coeur brisé en mille morceaux. Alors, il a appris à vivre avec le fait qu'il n'est rien de plus qu'un perdant. Et il n'a pas besoin de voir son visage tous les jours pour le lui rappeler. Vraiment pas besoin.
– Je vais fermer, de toutes façons.
– Bien, je peux t'emmener boire un café alors ?
Harry manque de s'étouffer. Il ne sait pas s'il doit rire ou hurler. Sur lui. Sur le monde entier. Il aurait dû partir comme il le voulait, s'enfuir, tout laisser derrière lui. Les souvenirs, bons ou mauvais. Ses mains se mettent à trembler autour des livres et il les serre si fort entre ses doigts qu'il a peur d'en abîmer la couverture. Mais il est obligé. Sinon, il va craquer. Il le sait, il le sent. La boule dans son estomac et les larmes affluer à ses yeux. Tout son passé lui remonter en travers de la gorge. C'est toujours comme ça.