Thomas crut que le cœur du châtain s'était arrêté à ses mots, mais sa poitrine se soulevait toujours silencieusement, preuve qu'il était seulement sous le choc de la révélation. Il venait en même temps d'embrasser un homme en couple, depuis peu de surcroit. Et Damien n'était-il pas sensé être avec Maé, lui aussi ?
Dans la tête du plus grand, de multiples questions se bousculaient de la même manière que chez le brun. Pourquoi Thomas ne l'avait pas repoussé, pourquoi n'était-il pas en train de s'énerver contre lui ? S'il s'était remis avec sa compagne, c'est qu'il l'aimait, non ?
-Thomas ?
Janson venait de passer la tête à travers la porte de l'établissement, lui rappelant que sa pause était largement finie et qu'il fallait qu'il retourne jouer pour les clients. Sans un mot de plus, le musicien rentra donc à l'intérieur du restaurant, plantant ainsi Damien qui ne savait que faire. Peu après le premier, il retourna lui aussi à sa table, qu'il avait délaissé pour demander des explications au brun.
Ce dernier était d'ailleurs en train de faire valser ses mains sur le clavier, comme il ne l'avait pas fait depuis longtemps. Il avait ce besoin nouveau de se laisser emporter par la musique, son cœur dictant le rythme comme un chef d'orchestre dirigeait ses musiciens, avec la même puissance et la même suprématie. Il lui fallait tout oublier, l'espace d'une mélodie, pour pouvoir revenir sur les évènements récents sans risquer de tout mélanger. Il fallait qu'il mette de l'ordre dans sa tête, et la musique était son exutoire.
Les notes claires emportaient tout sur leur passage, par vague elles arrachaient tous ses sentiments, pour juste laisser derrière elles son inconscient, celui qui savait tout, qui n'était pas biaisé par sa tête ou son cœur. Il savait que les clients le regardaient s'acharner sur son instrument, que Damien le fixait de ses yeux bleus, cherchant à déchiffrer sa mélodie, mais il jouait, sans relâche, sans accorder d'attention à ce qui l'entourait. Il voulait ignorer le monde, faire danser ses doigts à l'infini pour oublier tous les dangers que recelaient la société, et surtout son cœur.
La musique qui sortait de ce jeu était rapide, explosive, volant haut dans le ciel, cabriolant parmi les astres sans fin, recommençant un jeu ardent à chaque seconde. Elle frappait tous ceux qui l'entendait avec une précision inouïe, les forçant à interrompre leurs gestes pour rester à l'écoute de la note suivante, sans pouvoir se détacher du pouvoir attractif de la mélodie. Thomas se jetait corps et âme dans son jeu, et insufflait à la mélodie toute son agressivité qui la rendait majestueuse, saisissante et éclatante de grandeur.
Mais arriva le moment où ses bras lâchèrent. Il avait désormais l'habitude de cet instant où, frôlant les étoiles, il se faisait douloureusement rappeler sur terre. Seulement, cette fois là fut pire que les autres. Il prit de plein fouet toutes ses émotions, qui revenaient à la charge sans pitié et compressaient son cœur violemment, lui faisant presque tourner la tête. Un vertige le prit, qu'il réprima tant bien que mal, mais qui n'échappa pas au regard scrutateur de deux personnes dans la pièce.
Janson, qui vit le léger malaise du musicien, s'approcha alors de lui et lui demanda d'une voix un peu inquiète si tout allait bien. Thomas réfléchit pendant une demie-seconde, puis lui avoua qu'il avait quelques problèmes en ce moment qui lui encombraient l'esprit. Le gérant lui accorda alors le reste de sa nuit, en lui disant que tout le monde avait ses soucis, et qu'il ferait mieux d'aller se reposer, pour revenir au meilleur de sa forme lundi. Le brun le remercia, rassembla vite ses affaires, puis sortit à l'extérieur, pour échapper à l'atmosphère du restaurant, qui commençait à l'étouffer.
Seulement, pour la deuxième fois en une semaine, Damien le rattrapa alors qu'il s'éloignait, prenant la direction de sa maison où l'attendait tranquillement Lara. Le plus grand avait le visage un peu rouge, surement à cause de la gêne, et les yeux tournés vers le sol. Thomas trouva que cette expression habillait étrangement bien les traits habituellement bien plus froids de Damien. Le brun était lui aussi confus après ce qu'il s'était passé entre eux, et il avait besoin de temps avant de pouvoir en parler clairement avec le châtain.
