Je ne veux plus bouger, mon bras sur le ventre, mon autre sur le rebord, je me sens tellement bien. Comme si tous mes problèmes s'éloignaient d'un coup, qu'ils se volatilisaient. Ils n'ont jamais existé. Le derrière enfoncé dans le fauteuil, je ne veux plus me relever. Je resterais bien comme ça, pour toujours. Il n'y a personne dans la pièce, Yoongi est sous la douche, il doit être six heures du matin. Peut-être plus, peut-être moins, la pendule s'est arrêtée. Je me souviens que ce bruit me faisait peur pendant la nuit, alors que mon copain ronflait comme un bien heureux. J'ai passé de nombreuses nuits blanches à écouter ces tic tacs bruyants et pourtant relaxants. Mais rien n'y faisait, je ne m'étais jamais habitué. Et maintenant, il n'y avait plus que le son de l'eau. Je me sens bien là, seul dans ce salon plongé dans la pénombre.
Pour m'occuper, je détaille les alentours. Mais tout semble si terne. Il n'y a qu'une photo assez vieille de Yoongi et de sa mère. Cette dernière, je ne l'ai vue que de rares fois. Elle travaille beaucoup d'après ce que j'ai compris. Ce qui fait que nous avons l'appartement pour nous tous seuls. Donc je dors souvent ici, c'est comme ma deuxième maison. J'ai même un double des clés. Mes parents disent qu'ils inquiètent pour moi, mais je n'en ai cure. Je suis majeur, je n'ai aucun compte à leur rendre. Ceci étant, je vais essayer de rentrer à la maison aujourd'hui. Peut-être sont-ils partis, je ne m'en souviens plus.
Je fixe la porte de la salle de bain. Il en met du temps. A croire qu'il s'est noyé. Il n'y a plus de bruit. Je commence à avoir des fourmis dans les orteils. Ça commence à me faire mal. Je change de position mais c'est toujours aussi inconfortable. Finalement, ce fauteuil n'est pas aussi bien que je l'ai dit. Ça me saoule d'attendre. Il peut pas se dépêcher un peu ? Il m'énerve. Je ne suis pas du genre patient. Pas patient du tout même.
Je me lève brusquement. J'en peux plus. J'empoigne mon manteau et mes clés que je fourre dans ma poche avant d'ouvrir la porte.
— J'y vais ! je lui crie, il me répond par un grognement lointain.
Alors que j'allais vraiment partir, son portable se met à sonner. Il sort précipitamment, une serviette autour de la taille, encore à moitié dégoulinant. La moquette se retrouve maintenant parsemée de gouttes d'eau. Son téléphone est posé sur la commode, je l'attrape avant qu'il ne me l'arrache des mains bien que j'ai pu voir le prénom de mon meilleur ami sur l'écran. Qu'est ce qu'il lui veut ? Mais avant que je ne puisse poser la question, Yoongi m'a poussé dehors et ferme la porte. Je reste là, sans bouger, un peu sonné. Sans hésiter une seule seconde, je colle mon oreille à la porte. Il n'y a rien de mal à ça, c'est mon petit ami, j'ai tous les droits. Absolument tous les droits.
« Y'avait Taehyung espèce de con... Bah oui, il était là... Non, il vient juste de partir... Tu le connais hein, tu sais comment il est... » Il ne m'en faut pas plus pour partir d'un pas trahissant ma colère. Qu'est ce qu'ils peuvent bien me cacher ces deux-là ? Ça m'énerve. Je ne comprends pas. Je descends les marches rapidement, mes doigts s'acharnant sur un vieux bout de papier présent dans ma poche. Je le mets rapidement en charpie.
Je décide finalement, après avoir passé dix minutes dans la rue à déambuler sans but, de rentrer chez moi, en espérant que mes parents ne soient pas là. Mon vœu est exaucé lorsque je suis obligé de tourner deux fois le verrou. Ma maison est calme, il n'y a personne. Personne pour me déranger. Personne pour me réprimander. Je décapsule une bière et prends une grande gorgée. Le liquide me brûle la gorge mais ça me fait étrangement du bien. Je ne suis plus en colère, je n'y pense même plus.
Ma tête me fait un peu mal mais je n'y prête pas attention. Plus rien ne compte. A la fin, je ne sais pas combien de bouteilles j'ai pu consommer mais je m'écroule par terre et dors. Heureusement qu'il n'y a personne. Je paraitrais bien pathétique comme ça. Je suis pathétique.
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Il ne m'a fallu qu'un regard, qu'un souffle pour comprendre dans quelle impasse je me trouve maintenant. Je ne comprends plus. Je ne comprends plus rien. Il est si différent, si différent de lui. Il n'est pas comme ça. Il ne l'a jamais été. Pourquoi est-ce que je me sens comme ça ? Si perdu. Je ne l'ai jamais ressenti. Tout me file entre les doigts. Je perds le contrôle. La chute me semble infinie. Malgré tout ce que je pense, je fais mine de rien et avance. Mon cœur bat comme jamais, une bouffée de chaleur me prend. Je me demande presque si je vais y arriver. J'ai rarement été aussi indécis.
Je pose une main sur son épaule. Son regard me cloue sur place, me paralyse, me statufie. Je le lâche et laisse retomber ma main le long de mon corps. Ce regard me glace le sang. Je me sens monstrueux. Je me sens horrible. Je me sens affreux. Cachés derrière une vague de tristesse mêlée à de la peur, les reproches. Ces reproches dont je ne comprends pas la provenance.
Et pourtant j'éprouve des remords. Des remords qui vous font vomir vos tripes, qui vous font fondre dans la honte, qui vous rendent encore plus misérable que vous ne l'êtes déjà. Horrible. Je fuis avant même qu'il ne place un mot. Je ne veux pas l'entendre. Je ne veux pas la voir. Cette vérité accablante. La vérité que j'ai comprise dès le début mais que je refuse. Cette vérité me perdra. Elle m'a déjà perdu.
J'ai beau courir, tomber, me blesser, rien n'efface ces remords. Je cours encore. Je fuis lâchement. Je rejette à plus tard le dénouement. Je sais comment ça va se finir. Je le sais depuis le début de cette soirée. Cette soirée où le malheur est tombé sur moi. Cette soirée qui a scellé mon futur.
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Trompe Tombe [Taegi]
FanfictionUne soirée bien arrosée. Deux personnes rentrant en voiture. Et un accident. Il ne suffit que de ça pour changer beaucoup de choses.