Chapitre 7

63 11 1
                                    


Elle m'enveloppe de cette souffrance. Cette douce souffrance que j'aimerais tant oublier. Mais c'est impossible. Je me rappelle. Je me rappelle tous les détails, tout. Et maintenant, qu'est-ce que je fais ? Je ne fais rien. Encore une fois. Je reste là, à côté d'un ami qui se tait et de ma solitude intérieure. Je suis si pathétique sur le rebord de ce banc, à deux doigts de tomber. Je n'éprouve même plus de haine, pas une once de colère. Je me sens vide. Si vide. Je fixe ce chat noir qui ronronne près de moi, se frottant aux jambes de Jungkook qui sourit. Se rend-t-il compte de mon état ? Il n'a pas l'air d'y prêter attention. Il est là sans l'être vraiment. Comme moi. Je ne suis qu'un fantôme. Un fantôme piégé, trompé, tombé. Horriblement mal.

— Tu trouves pas qu'il est mignon ce chaton ?

Je ne réponds rien. Je ne peux pas. C'est affreux. C'est si douloureux. J'en peux plus. J'y arrive plus. Je me lève, fais deux pas et recule d'un, perds à moitié mon équilibre tout en le gardant. Je ne tiens plus droit.

Taisez-vous. Arrêtez ces bourdonnements dans mon crâne. Ces voix qui s'emmêlent dans mon esprit. Je suis cerné, incapable de réfléchir, d'émettre ne serait-ce qu'une pensée cohérente. Non. Au lieu de ça, je me sens entravé au plus profond de moi-même. Une main se pose sur mon épaule, je ne réagis toujours pas. Je n'en suis plus capable. Mon corps ne m'obéit plus, il reste immobile, il stagne, il se convulse. Mes membres pris de violents spasmes me font un mal affreux. Je n'en peux plus. Je tombe en avant. Mon crâne rencontre durement le banc. Je suis désorienté, paralysé, mort. Je me sens comme mort.

Je ne bouge plus, le ciel semble si proche. Mon esprit divague. Je me vois déjà là, sur un lit d'hôpital, relié à de multiples fils, un masque me faisant respirer car je n'en serais plus capable seul. Je ne le voudrais plus. J'imagine le regard d'Hoseok inquiet et celui de Yoongi ravagé. Je vois ses larmes, ses yeux suppliants, cette expression de détresse.

Mais je me trompe. Yoongi ne pleure pas. Il n'a jamais pleuré. Et encore moins pour moi. Mes bras de part et d'autre de mon corps demeurent inertes, immobiles, désarticulés. Je reste sur le dos. J'ai l'impression de voler, de grimper des montagnes puis de tomber. Tomber lourdement de haut. De très haut. Deux larmes coulent sur mes joues. Je pleure mais je ne sais pas pourquoi. Ou du moins c'est que je m'efforce de croire.

Le visage de Jungkook m'apparaît, il sourit. Il est réellement devant moi. Je suis peut-être en train de mourir d'un traumatisme crânien mais il sourit. Quel idiot. Sors-moi de là au lieu de sourire. Bouge-toi un peu. J'ai mal à la tête. Mais pas que. Mon cœur est encore pire. C'est affreux. Pourquoi ne peux-tu pas me guérir ? Tu sers à rien. Mais il n'entend pas ce que je lui dis. Saleté de gamin. Il ne comprend pas que la situation est grave ?

Pourquoi est-ce qu'il se relève ? Pourquoi part-il ? Reviens. Ne pars pas toi aussi. Me laisse pas comme ça. Sale traitre. Vous êtes tous des traitres. Je vous hais. Tous. Je ferme mes yeux, ma tête me lance encore plus. J'ai trop mal. Bougez-vous pour me sauver. M'abandonnez pas. Me laissez pas mourir. Un goût de sang imprègne ma bouche, coule sur mon menton. Je tousse. Je m'étouffe. Je vais mourir. Ça y est. Je ferme ma bouche, respirant difficilement une bouffée d'air glacé.

Mes sanglots ne tarissent pas. Je pleure parce que je ne me souviens que trop bien de cette scène. Cette scène où ils s'embrassent. Mon meilleur ami et mon copain. Trahison. Bande de traitre. Vous l'êtes tous. Cette colère que j'éprouve me fend le cœur. Ces sentiments si mauvais, je les éprouve. Je les éprouve encore en y repensant. Ces sentiments ont rapidement été dépassés par quelque chose d'autre. Autre chose de bien plus fort. Ce n'est pas de la tristesse. C'est bien pire.

Une pression sur mon bras me réveille à moitié. Je me recroqueville en position fœtus. Le lit est dur, encore plus que normalement. Où suis-je ? La vive lumière du soleil m'assaillit quand j'ouvre les yeux. Il me faut quelques minutes pour m'habituer. Je tombe nez à nez avec Jimin. Le temps de remarquer la distance qui nous sépare, je saute presque en arrière mais mon dos heurte violemment une surface dure. Il rit légèrement ce qui disparaître ses yeux. Il me pousse sur le côté et s'assoit. Mais qu'est-ce que je fais là ? J'étais pas par terre ?

— Qu'est ce que tu fous à dormir sur ce banc ? T'as pas mieux à faire ?

— Bah...

— Pourquoi tu pleures ?

Je touche mes joues. Elles sont mouillées. Et là tout me revient. Mes larmes qui avaient arrêté de couler brouillent ma vision.

— J-je... Jungkook, il est où ? je demande pour essayer de changer de conversation, je n'ai pas envie d'en parler. Je l'ai déjà fait brièvement avec le plus jeune.

— Jungkook ? T'es pas au courant ? Franchement Taehyung, t'es toujours dans les vapes et jamais informé. Quoique je suis sûr que tu le sais mais que t'as juste oublié. Il est parti en vacances j'sais plus où. Son regard semble plus mélancolique. Peut-être aller rejoindre Namjoon sait-on jamais.

— Mais je l'ai vu il y a à peine deux minutes. On était sur ce banc, il y a avait même un chat noir. Puis il est parti quand j'suis tombé mais... hein mais pourquoi j'ai pas mal à la tête ? J'me rappelle que ça me faisait super mal et qu'il m'a laissé par terre ce p'tit con. T'y crois toi ? Mais si tu dis qu'il est pas là alors je comprends pas... J'ai rêvé ?

— Bah je sais pas, t'avais l'air de bien dormir. Faudrait peut-être te réveiller un jour.

— Alors si c'était qu'un rêve ça veut dire que... Oh mais oui ! Ce que j'ai vu est faux ! J'en étais sûr qu'il m'aurait pas fait ça ! Surtout avec tête de cheval ! Faut qu'j'aille le voir tout de suite ! Oh mon dieu c'que j'me sens bien ! C'est un soulagement, tu peux pas savoir ! A moi les papillons et les lapins volants, je vais aller les voir un jour ! J'ai l'impression de flotter comme sur un nuage ! Allez tchus Jimin et encore merci !

Il me regarde partir avec un air hébété. Je me suis peut-être un peu trop laissé déborder. Mais je me sens si bien, si soulagé. Je cours dans la rue avec un grand sourire, je me suis rarement senti aussi libre que maintenant. Plus rien ne peut m'arriver. Plus rien ne peut m'arrêter. Je gravis les marches quatre par quatre et ouvre avec le double des clés l'appartement de Yoongi. J'ai toujours su que c'était une bonne idée d'en prendre une paire.

Je suis tellement heureux. Mais ça, c'était avant d'ouvrir la porte de la chambre de mon copain. 

Trompe Tombe [Taegi]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant