Claude

Chapitre 6

     Dans son bureau à New York, l'agent Vaughn Cook se penchait sur l'affaire Caroline. Monsieur Jettson avait fait un tel raffut que l'affaire du vol de la voiture avait hérité comme appellation du surnom qu'il avait donné à sa voiture. Il ne s'agissait pas là d'une blague entre les gardiens de la paix mais du titre du minuscule article moqueur apparu dans un journal de quartier.

L'affaire Caroline.

Vibrez moteurs poussiéreux, rugissez vieilles carrioles de collectionneurs, il semblerait que l'on vous prenne pour cible.

C'est ce week-end qu'une piteuse Volkswagen blanche, répondant au doux nom de Caroline attribuée par son affectueux propriétaire, a été volée dans un garage de Harlem. La police enquête sur le garagiste responsable de réparer le tacot qui aurait lui aussi disparu avec une de ses amies. Si vous cherchiez encore une preuve que le monde ne tourne pas rond, en voici une. Fini le temps des vols de smart-phones et de cabriolets, les délinquants franchissent le mur du temps et ne cherchent plus à rentabiliser leur business par un gage de qualité. Espérons toutefois que la « Caroline » adorée de son propriétaire ne sera pas victime d'un syndrome de Stockholm et qu'elle reprendra le chemin du retour sans broncher quand son bourreau aura fini sa ballade fumeuse avec elle. Peut-être n'y a-t-il qu'à suivre la traînée noire du pot d'échappement ? Affaire à suivre avec humour.

     Jettson n'avait d'ailleurs pas du tout apprécié l'article et avait même menacé de porter plainte contre le journaliste mais la police était parvenue à calmer l'homme désespéré.

      C'est à Vaughn qu'était revenue l'affaire. Il n'en était pas à sa première investigation mais avait seulement enquêté sur des vols à l'étalage dans ses 5 années de carrière. Un jeune agent sous les ordres de l'inspecteur Gordon qui lui refourguait souvent les affaires peu intéressantes.

     Vaughn s'était renseigné sur Gabriel mais n'avait récolté que peu de témoignages sur sa vie privée. En effet, ni ses collègues, ni la famille de Claude ne pouvaient vraiment en parler, ils ne savaient que très peu de chose sur le jeune homme. Orphelin, c'était confirmé. Casier judiciaire vierge, il en avait la preuve : Gabriel était inconnu aux services de police. Vaughn avait également appris que Gabriel connaissait Claude depuis l'école primaire par les parents de la jeune femme en fugue. Il s'était donc intéressé de façon plus assidue au cas de cette dernière, assisté par le témoignage de sa famille décrivant une femme rêveuse, discrète et malicieuse. Également décrite par ses frères comme étant maligne, l'agent Cook n'écartait donc pas l'éventualité que Claude puisse être le cerveau de l'opération. Bien évidemment, il ne révéla pas ses pistes à la famille de Claude qui continuait de donner des adjectifs sur leur protégée en ignorant que ceux-là pourraient se retourner contre elle.

     Sur son tableau en liège, l'agent avait épinglé une photo découpée de Claude lorsqu'elle avait dix-sept ans, assise sur son lit avec sa petite sœur au matin de Noël. C'était là une des photographies les plus récentes de la jeune femme, la famille modeste n'ayant eu les moyens de posséder un appareil photo. La capture avait d'ailleurs été prise par l'appareil emprunté à un collègue du père de famille, dans un but bien précis. Cette année-là, la mère de Claude avait reçu un cadre avec une photo de ses filles à l'intérieur pour Noël. N'ayant aucune capture du jeune Gabriel, pas même une photographie d'identité, l'agent avait simplement écrit son prénom sur un papier et l'avait punaisé juste à côté de la photo de Claude. Il avait relié les deux punaises d'un fil rouge pour indiquer la filiation entre les deux. Par ailleurs il avait ajouté à son tableau la photographie de la voiture de Jettson (celui-ci n'avait pas eu de mal à en fournir, possédant des centaines de clichés du véhicule), la liste des collègues de travail de Gabriel, des photos de son studio vide et une photocopie de la lettre laissée par Claude.