Bonnet enfoncé sur la tête, chemise nouée autour de la taille et une cigarette à la main, Claude traversait d'une allure masculine les rues de Harlem. C'est dans cet ancien ghetto que la jeune femme avait grandi, au cinquième étage d'un bâtiment insalubre. Certaines fenêtres de la cage d'escalier avaient été soufflées lors d'une explosion au gaz dans le voisinage dans les années quarante. Le quartier renaissait depuis quelques décennies, mais il restait encore quelques vestiges des temps du ghetto, témoignant de la misère qui avait régné dans ces rues.
Claude était née à la fin des années quatre-vingt-dix, de parents ouvriers absents, condamnés à multiplier les heures supplémentaires pour remplir la gamelle. Eux-mêmes étaient enfants d'immigrés français de la Seconde Guerre mondiale. Chez eux, les prénoms français se transmettaient systématiquement, tradition gardée par respect de leur origine. Cadette de Paul et de Jim, et aînée de la petite Marie, Claude avait grandi dans un appartement en désordre et sous la tyrannie insouciante de ses frères en mal d'éducation. Bien que ces deux-là s'en soient tirés pour vivre à Brooklyn et travailler comme grooms dans un hôtel à Manhattan, ils en avaient fait voir de toutes les couleurs à leur sœur Claude. C'est pour cela que Marie n'en pâtit jamais, Claude passant son temps à protéger la cadette des griffes des deux voyous. Dans la pratique, cela se résumait à enfermer la plus jeune dans un placard avec une lampe de chevet, du papier et des crayons de couleur. Quand la jeune Marie eut l'âge de lire, Claude remplaça la panoplie complète de la petite dessinatrice parfaite par des livres chipés discrètement à la bibliothèque de son école. C'est ainsi que Marie, à tout juste quinze ans, avait une culture folle et ne cessait de clamer son désir d'entrer à l'Université plutôt que de s'intéresser à sa rentrée au lycée. Claude avait créé un monstre avide de littérature qui n'avait jamais connu les chamailleries d'une fratrie.
Dans le quartier, tout le monde avait déjà rencontré Claude et sa famille ; ils étaient de réputation courtoise, ce qui faisait son effet au sein du voisinage. Mais la jeune Claude attirait les regards curieux : une adolescente aux allures de gamine, à la démarche d'homme et au look des moins travaillés. Du haut de ses dix-neuf ans et depuis toujours, elle n'avait eu qu'une seule ambition : faire le tour du monde.
Chaque matin elle se réveillait à l'aube, hésitant à faire sa valise et s'en aller tout bonnement, en route pour de nouvelles aventures. Le souci c'est qu'il ne suffit pas d'une expression de fin de western pour vivre un rêve, et les moyens techniques et financiers lui manquaient. Elle se contentait de découper des photos du monde dans des journaux. Elle avait collecté sa première photo à l'âge de sept ans ; il s'agissait d'une capture du port d'Alexandrie faisant la promotion d'une agence de voyages. L'on y voyait le fameux phare, dominant les bateaux accostés et mêlant le ciel bleu et jaune d'une soirée d'été à la mer d'un calme plat. Claude avait longtemps rêvé de s'y asseoir et d'admirer ces tons exotiques.
Depuis, elle avait entassé des centaines d'images dans une boîte à chaussures qu'elle cachait sous son lit. Mais son tour du monde virtuel ne lui suffisait pas, elle devait marcher sur les plages, les allées, les boulevards, elle devait respirer la poussière, le sable, les odeurs du macadam, elle devait s'imprégner des forêts, des lacs, des villes, des montages, elle devait partir tout simplement, partir à l'aventure. La jungle New-Yorkaise ne lui avait jamais suffi, et comme on disait là-bas, « si je peux le faire ici, je peux le faire partout ailleurs » alors pourquoi pas elle ? Ce désir brûlait dans ses veines tous les jours et la faisait suffoquer tous les soirs, lorsqu'elle constatait que ce rêve n'était toujours pas entamé.
Alors qu'elle arrivait dans le terrain vague derrière le supermarché, Claude agitait son bras en l'air pour attirer l'attention de Gabriel. Le jeune homme était assis sur un roc, penché en avant, traçant quelque chose entre ses pieds d'un bout de bois dans la terre poussiéreuse. Il semblait trop concentré pour se débarrasser de l'amas de cendres au bout de la cigarette qu'il pinçait entre ses lèvres et ne vit pas Claude jusqu'à ce qu'elle ne grimpe sur le rocher. Un pied à côté de chaque cuisse du garçon, l'empêchant ainsi de se redresser, elle posa ses mains sur les épaules de Gabriel et se pencha par-dessus lui pour voir le dessin qu'il traçait sur le sol. Il y avait des lignes verticales, des lignes horizontales, quelques flèches, quelques croix et ça ne ressemblait absolument à rien.
![](https://img.wattpad.com/cover/48355337-288-k994185.jpg)
VOUS LISEZ
Claude
AventureClaude est une jeune femme issue d'une famille modeste qui aspire à voyager. Gabriel, son ami, serait prêt à se sacrifier pour faire des songes de Claude une réalité. Quand un rêve tourne au cauchemar. Le périple de Claude et Gabriel en quête de lib...