Chapitre 3 : Survivre à tout prix
Approcher le groupe de bandits ne fut pas une mince affaire. Ils se déplaçaient sans cesse, et dès que je pensais avoir cerné leur routine, ils me donnaient tort et ne se montraient pas. Ce manège dura près de deux mois. Je réussis à me nourrir des derniers fruits de l'automne durant ce laps de temps, mais je rencontrais de plus en plus de difficultés à trouver de quoi me sustenter.
De plus, l'hiver arrivait. Les nuits se compliquaient, le climat était plus rude et les risques de mourir grandissaient avec lui. Mes faibles repas avaient affiné ma silhouette, déjà fragile, qui ne tenait debout que par quelque miracle ou volonté des dieux. Je tenais de moins en moins bien les longues journées de marche et chaque tentative ratée d'approcher mes nouveaux potentiels employeurs affaiblissait un peu plus mon moral.
Une nuit de grand froid, alors que je ne trouvais pas le sommeil, le destin se décida finalement à enfoncer ma porte. Frigorifié, je m'étais réfugié dans une grotte -inhabitée, cette fois, j'en étais sûr- et j'attendais que l'aube se lève en regardant la neige tomber. Je commençais à somnoler, abattu par une nouvelle journée de recherche infructueuse quand un mouvement dans l'horizon attira mon attention.
Au début, je crus à des loups. Je vous avoue qu'après ma rencontre avec l'ours, je me méfiais comme la peste de la faune locale. Ce simple soupçon acheva de me réveiller et je me saisis rapidement de l'arc improvisé qui ne me quittait plus depuis deux semaines. Bon. Je ne savais pas réellement m'en servir. Mais Marie-Louise me répétait toujours que lorsqu'on veut, on peut. Je l'ai pris au pied de la lettre.
Quelle fut ma surprise quand les hommes que je recherchais depuis des jours et des jours s'engouffrèrent soudainement dans ma grotte. Ils portaient l'un des leurs, blessé au ventre par un mauvais coup d'épée. Deux d'entre eux s'occupèrent de cautériser la plaie, les deux autres se tournèrent dans ma direction, hostile. Quand ils braquèrent leurs armes vers moi, effrayé, je lâchai immédiatement mon arc et levai les mains en l'air.
— Bouge pas et vide tes poches ! beugla l'un d'eux.
— Je... Je n'ai rien sur moi...
Pour m'impressionner, sans doute, le plus petit des deux m'attrapa fermement le bras et me claqua contre la roche. Ils me fouillèrent intégralement. A part quelques baies pourries dont j'ignorais moi-même l'existence, ils ne trouvèrent pas de gros butin. J'eus tellement peur que, bientôt, un liquide jaune et poisseux recouvrait l'intégralité de mon entrejambe et le sol. Dégoûtés, ils finirent par m'attacher dans un coin, le temps de décider ce qu'ils allaient faire de moi.
Idiot comme j'étais, bien sûr, je me suis laissé faire. A quinze ans, je n'avais pas encore la carrure pour me défendre. A vrai dire, je ne savais pas non plus me battre : j'étais simplement un adolescent terrifié. Je me suis contenté de les regarder s'activer autour de mon feu de camp, sans une once de compassion pour mon état. J'en étais presque réduit à retenir ma respiration tant je craignais qu'ils ne me tuent dans une lubie passagère.
Et puis arriva le moment fatidique où ils terminèrent de s'occuper de leur homme de main. Enfin... Ils se concertèrent du regard, puis celui qui paraissait être leur chef planta son épée dans le crâne de son sbire. J'ai détourné le regard, choqué. J'avais déjà vu des cadavres, mais le meurtre, c'était nouveau. Les battements de mon coeur ont commencé à s'affoler. Le regard vide du mort, tourné dans ma direction, me fit blêmir. Dès que l'un des bandits voulut s'approcher de moi, je ne pus tenir plus longtemps et je m'évanouis dans ses bras.
J'estime mon réveil à deux bonnes heures plus tard. Le paysage tanguait dangereusement autour de moi. Je mis quelques minutes à comprendre qu'on m'avait chargé sur la croupe d'un cheval. Paniqué, je tentai immédiatement de fuir et de me débattre. Mes poignets et chevilles entravées de liens ne me facilitèrent pas la tâche et, dépité, j'abandonnai assez vite pour étudier mon environnement.
Le cavalier devant moi se concentrait sur la route, les trois autres derrière me narguaient du regard, amusés.
— Si personne le réclame, annonça l'un d'eux, on pourrait le vendre à un marchand d'esclaves, c'est pas ça qui manque dans le coin.
— Tu parles ! répondit le cavalier. T'en connais beaucoup des marchands qui achètent des gosses qui chient dans leurs frocs ?
Dans un premier temps vexé, j'écarquillai vite les yeux à la mention des marchands d'esclaves. Jeune et orphelin, je représentais tout ce qu'ils recherchaient. Ils me dévisageaient tous, attendant une réaction de ma part. Trop crédule, je compris trop tard qu'ils se moquaient de moi. Ils éclatèrent d'un rire gras quand ils s'aperçurent que j'avais percuté.
— Du calme, gamin, on va pas te manger, lâcha le cavalier, nonchalant. Il se trouve qu'on a besoin de petits gabarits pour notre travail. T'avais pas l'air de savoir ce que tu fais, donc on a pris les devants. Et puis une place s'est justement libérée tout à l'heure.
A la mention du meurtre odieux dont j'avais été témoin, je ne pus réprimer un frisson. D'un côté, mon objectif était plus que rempli. De l'autre, je savais maintenant que je ne pouvais pas leur faire confiance. Au moindre écart, je finirais comme ce pauvre homme.
— Détache-le, Armand, demanda un des gardes derrière. Il est flippé. Comment tu t'appelles, gamin ?
Mon chauffeur coupa les liens d'un coup de dague bien placé et m'aida à me mettre en position assise. Ainsi plus confortablement installé, je découvris mon pantalon, tâché d'urine et d'excréments. J'en rougis de honte. Je n'osais pas les regarder dans les yeux.
— Adrick, répondis-je d'une petite voix.
— Et il parle, en plus ! s'exclama le dénommé Armand. Derrière, t'as Joris, Troyes et Georges. Georges parle pas, sa langue a été coupée par des gardes l'année passée. Bienvenue dans la compagnie.
Je leur souris timidement, plus par peur de me faire lapider sur place que réelle joie. La chevauchée dura encore deux heures. Nous remontâmes les forêts froides, celles que j'avais mis tant de temps à traverser il y avait quelques mois, puis, à ma grande surprise, nous entrâmes dans une grotte avec les chevaux. Celle-ci était aménagée sommairement : une table, quelques chaises, des coffres qui débordaient d'objets et d'or, mais aussi des paillasses à l'allure douteuse, de la nourriture pourrie et des rats. Le bilan était mitigé.
Les brigands enfermèrent les chevaux dans un minuscule enclos fabriqué avec des planches de bois. Le sol, recouvert de déjections, laissait à désirer quant au traitement des animaux qui rechignaient à avancer. Mal à l'aise, je restais à l'entrée sans bouger d'un poil, attendant qu'on me donne des ordres, des indications, n'importe quoi. Armand pointa une des paillasses du doigt pour me signifier que c'était la mienne.
La paille, peu fraîche, grouillait de vers et d'insectes. Je tirai une grimace de dégoût et remuait un peu le tas. Une odeur insupportable d'alcool pourri me monta aux narines et je dus me retenir de rendre mon maigre dîner. Une dague reposait sur ce qui semblait être une brique, qui servait probablement d'oreiller à l'ancien locataire. Je la pris lentement dans mes mains. Il s'agissait d'une des armes de mon ancien maître, à n'en point douter. Je la glissai lentement à ma ceinture. Le contact froid de l'acier me rassura un peu.
Armand me lança des vêtements propres. Troués par les mites, ils ne tenaient pas franchement plus chaud que les précédents, mais le nouveau tissu valait toujours mieux que mon pantalon tâché. Je le remerciai silencieusement du regard et partit sur le champ me changer.
Une fois propre, je rejoignis le groupe à la table. Ils riaient grassement, choppes à la main. Georges m'invita d'un geste de main à les rejoindre. J'obéis timidement et m'installai entre Troyes et lui. Joris me tendit un verre, avant de se lever.
— À notre nouvelle recrue !
— À notre nouvelle recrue ! reprirent les autres en cœur.
Ils descendirent l'alcool dans leur gosier, puis me dévisagèrent. Avec quelques a priori, je portais à mon tour le liquide à ma bouche. Je fis comme eux : cul sec ! Je ne savais pas alors que ce geste innocent aurait des conséquences inattendues.
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Le chant de l'oiseau solitaire | Tyrnformen
FantasíaIl existe un lieu, dans les vastes contrées de Tyrnformen, qui ne connaît ni âges, ni époques. Sa position se communique de légende en légende, de génération de bardes, d'aèdes et de trouvères à une autre. Elles parlent toutes d'une caverne, au delà...