La Cascade Ardente

Mahfi

Du haut de son perchoir, Mahfi était concentrée sur l'autre trapèze à ses côtés ; sa sœur, sa jumelle s'y balançait en la regardant. Les deux filles malgré leur jeunesse se tenaient à plusieurs mètres du sol sans une once de crainte dans les yeux. Bien que de nombreuses autres activités de jongleries ou de cheveaux se déroulaient en dessous d'elles, rien ne pouvait altérer leur concentration. Au sol, un homme plus ventripotent dirigeait les opérations.

—Sahfi, Mahfi ! A ce moment, vous sautez et échangez de place.

Les sœurs se jetèrent un rapide coup d'œil avant de s'exécuter : d'abord, elles se balancèrent jusqu'à presque se croiser, puis, les mains seules les retenant à la barre en bois, elles sautèrent. Chacune rattrapa le trapèze de l'autre sans encombre. Les filles se replacèrent ensuite, assises. Enfin la fin d'un enchaînement interminable, à flirter avec le danger à chaque instant. Le directeur du cirque exigeait un numéro toujours plus spectaculaire chaque semaine. Il fallait toujours plus d'insécurité, d'incertitude, de suspens. De spectacle. Sans filet au sol, il leur coûterait trop cher.

—Bien, ça suffit pour aujourd'hui. Descendez, je vous libère. Vous avez intérêt à être en forme pour la représentation demain !

—Comment l'oublier lorsque c'est ce qui va nous payer à manger, ricana Sahfi.

Mahfi se contenta de lever les yeux au ciel puis se laissa descendre avec son perchoir afin de regagner le sol. Une fois le sable du cirque sous ses pieds, elle salua leur patron avant de se diriger vers la sortie. Les jumelles s'étirèrent toutes deux. Enfin, la fin de la journée. Le soleil se couchait déjà à l'horizon. Le temps qu'elles marchent jusqu'à la maison, il aurait déjà disparu. Sahfi frotta ses épaules dénudées en râlant.

—On va avoir froid...

Mahfi lui sourit pour essayer de la rassurer mais elle avait raison, elles auraient froid. La chaleur était responsable de leur teint coloré, mais lorsque le soleil disparaissait, la plaine qu'il leur fallait traverser devenait un désert de glace. Mahfi s'arma de courage, songeant à partir immédiatement et à marcher d'un bon pas pour rejoindre leur doux foyer.

Alors que les sœurs s'apprêtaient à s'engager dans cette traversée, une voix masculine timide les interpella :

—Mahfi ?

L'intéressée se retourna pour voir Wyan. Le jeune homme se rapprocha, les mains croisées dans le dos et la figure rougissante près des deux filles. Sahfi plissa immédiatement le nez. Elle n'appréciait pas cet homme, déjà plus âgé qu'elles et qui faisait clairement des avances à sa jumelle. Mahfi ne voyait pas en quoi c'était un mal mais se fiait à l'instinct de sa sœur qui ne la trompait jamais.

—Qu'est-ce que tu veux Wyan ? questionna sèchement Sahfi.

—Ri... rien. Simplement demander si tu avais réfléchi à ma proposition Mahfi.

La jeune fille baissa la tête, n'osant le regarder dans les yeux. Wyan lui avait intimé à demi-mot qu'il souhaiterait l'épouser ces derniers jours. Mahfi ne comprenait pas vraiment ce qu'il pouvait lui trouver. Elle n'avait aucune dot à offrir, sa famille ayant beaucoup trop d'enfants et surtout de filles pour se le permettre. Peut-être sa fertilité, qu'on hérite paraît-il de ses parents ? Les inquiétudes de Sahfi faisaient naître des dizaines d'interrogations dans sa tête.

—Non pas encore. Tu veux bien nous excusez, nous devons rentrer.

Elle entraina sa sœur par le bras vers le chemin de la maison. Cette dernière lui jeta un regard étonné.