Mahfi

1 0 0
                                    


—Allez, c'est bientôt fini.

Mahfi songea que ça ne faisait au contraire que commencer. Tessa, l'acrobate cavalière tenait aussi le rôle de maquilleuse. Elle parait le visage de la trapéziste d'argent et de violet. Cette dernière se laissait faire tandis que sa sœur regardait le public à travers un mince trou du rideau.

—Il y a du monde ? interrogea Mahfi.

—Pas mal, déclara Sahfi en haussant les épaules. Le cirque est presque plein.

Evidemment, seuls les bourgeois venus de la grande ville pouvaient s'offrir un ticket pour le spectacle. Ce n'était certainement pas leur famille qui viendrait les voir. Trop cher, et pour les deux petites dernières bouches inutiles, ça n'en valait pas la peine. Mahfi soupira à cette réflexion. Ça ne servait à rien de penser à ça maintenant ; il fallait qu'elle se concentre sur le numéro.

—Eh mais ce n'est pas un noble là ?

Mahfi ne sut qui avait lancé cette phrase, mais elle fit rapidement bouger toute la troupe en direction du rideau. Tous les acrobates, les clowns et les jongleurs se bousculaient pour tenter d'apercevoir un homme gras, entouré de femmes en petites tenues et tenant une coupe d'alcool. Mahfi plissa le nez à l'odeur infecte du tabac dont il empestait. Pourtant, c'était lui qu'elles devaient impressionner ce soir si elles voulaient de l'argent supplémentaire. Sahfi dansait d'un pied sur l'autre.

—Quel bouffi... enfin, j'espère qu'il est bien accroché, parce qu'on va lui en mettre plein la vue, hein Mahfi ?

L'intéressée sourit à sa jumelle. Elles passaient en dernier ; l'idéal lorsqu'on voulait se faire remarquer. Ceux qui se présenteraient en premier commencèrent à agiter les mains de manière désordonnée. L'angoisse les prenait déjà. Mahfi se demandait si elle ne préférerait pas leur position. Attendre risquait d'être encore plus terrifiant.

Le directeur, dans son beau costume de Monsieur Loyal, frappa des mains avec énergie pour tempérer les troupes. Le spectacle débutait. Les lumières s'éteignirent avant de se braquer sur la piste. Mahfi écouta distraitement le discours de bienvenue du maître de cérémonie. Les cavalières s'élancèrent alors, ravissant de leurs tours acrobatiques tous les gens sous le chapiteau. Certaines tentaient même un battement de cils en direction du noble. Puis virent les jongleurs ; les uns sur les épaules des autres, ils s'échangeaient entre deux saltos quilles et cerceaux. Le dompteur d'éléphants testa son nouveau numéro en mettant deux éléphants sur une immense balance, et laissant leur bébé garder l'équilibre sur une boule en faisant le tour de la piste. Enfin, après que les clowns aient fait rire et les dompteurs frissonner, ce fut aux jumelles de fouler le sol de la scène.

Sahfi serra la main sa sœur pour lui donner confiance. Le noir se fit sous le chapiteau. Avec rapidité, tout le monde se mit en place pour les faire monter. Mahfi, assise sur son trapèze, cramponna ses mains aux cordes. Elle déglutit, fermant les yeux pour ne voir ni le bas, ni le riche noble qui devait les observer en se grattant la barbiche. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, la lumière réapparaissait. Le public s'extasia en découvrant les deux adolescentes aussi chétives à cette hauteur.

Mahfi prit une grande inspiration. Maintenant, tout était affaire de concentration. Il fallait s'enfermer dans une bulle, ignorer les cris et les affolements du public. Elle se raccrocha aux yeux de sa sœur. Ceux-ci, recouvert d'or et de bleu la fixait également. Prête... ? Silencieusement, elle acquiesça. C'était l'heure de se lancer. Les deux filles débutaient chacune de leur côté : sur leur trapèze respectif, elles se pliaient et se tordaient dans tous les sens autour de la barre de bois. Le public applaudissait un peu plus à chaque figure. Lorsqu'ils crurent avoir atteints le paroxysme du grandiose, les jumelles surent que le bon moment arrivait. Lentement, les cordes se balançaient, de plus en plus, jusqu'à presque se croiser. Toutes deux ne se raccrochaient que par leurs mains au trapèze. Alors côte à côte dans les airs, elles sautèrent, pirouettèrent pour échanger de place. Le tonnerre se déchaîna dans la foule. Les deux sœurs purent s'accorder un sourire avant de recommencer, avec un salto en plus. Une fois, deux fois, trois fois. Mahfi retrouva pour la dernière figure son trapèze, se suspendant dans le vide pour une ultime pose spectaculaire.

La Cascade ArdenteWhere stories live. Discover now