Chapitre 1

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Quel pied !

Un soleil de plomb, une plage de sable fin, et un petit vent marin qui secoue doucement le chapeau qui tient tout juste sur ma tête. C'est officiel, je devrais me sentir coupable. Après tout, les gens de ma promotion doivent certainement déjà vivre un vrai branle-bas de combat pour leur nouveau job et leurs nouvelles responsabilités. Mais j'avoue que cette sensation de liberté est plus forte que tout le reste. Plus forte que la désapprobation parentale, plus forte que les refus (nombreux) de mes employeurs potentiels, plus forte que la peur de ne jamais être à la hauteur. Le cursus le plus indiqué pour moi qu'ils disaient... « Celui qui offre le plus d'opportunités ». Mouais. Pour les autres, surtout.

Comme le dit Camille, s'ils ne veulent pas de nous, c'est qu'ils ne nous méritent pas ! Je ne suis pas sûre d'être complètement d'accord avec ma meilleure amie, mais elle a toujours eu ce don de me remonter le moral. La preuve aujourd'hui encore ! Quelle idée géniale ce boulot de serveuse - « dans le sud on sera tellement bien ma chérie ! » - la stratégie parfaite pour nous refaire financièrement avant que les choses se compliquent. Et pour profiter de la vie par la même occasion. Le plan rêvé quoi.

- Alors elle est pas belle la vie ? Crie-t-elle comme pour se libérer du poids qui encombrait sa poitrine depuis quelques jours.

- J'avoue !

Je prends une grande inspiration devant le spectacle qui se joue sous nos yeux. Rien de tel que l'effervescence d'une ville de bord de mer en plein été pour vous faire oublier vos problèmes.

- On a tout le temps de se faire chier avec un boulot à la con ! Mais encore très peu pour profiter de la vie, alors pas une minute à perdre si tu veux mon avis...

- N'exagérons rien, tu n'as même pas encore 22 ans !

- Oh, mais ce n'est pas pour moi que je m'inquiète...

Elle approche son visage du mien et je commence déjà à sourire en attendant patiemment la connerie qu'elle va me sortir.

- Mais plutôt pour ta ride du lion ! T'as vu la tête qu'elle fait ?

- T'es au courant que c'est uniquement à cause de toi que je l'ai cette ride, n'est-ce pas ?

- Bah bah, culpabilise plutôt ta maternelle, un truc comme ça c'est forcément un héritage génétique !

J'explose de rire et tout le monde se retourne sur la terrasse du bar. Pour la discrétion, c'est encore loupé.

- J'ai quand même hâte qu'on gagne notre vie pour de vrai, histoire de pouvoir profiter de ce cadre idyllique comme de vraies vacancières...

- C'est le lot des cendrillons comme nous poulette. On doit se casser le cul à servir ces messieurs dames si on veut pouvoir s'amuser un peu !

La vieille dame assise à côté de nous nous lance un regard désapprobateur. Ce n'était peut-être pas la meilleure idée qu'on ait eu de prendre notre pause déjeuner dans le bar où l'on travaille.

- Camille ! Un peu moins fort...

- Ben quoi ? Je dis seulement la vérité ! Mais ne vous inquiétez pas Madame, on s'occupera de vous aux petits oignons.

Je me cache derrière mes lunettes de soleil, comme s'il était possible qu'on ne puisse plus me voir. Camille elle, toujours sûre d'elle, affiche un grand sourire qu'elle lance à qui veut bien le recevoir.

- En tous cas, les mecs sont franchement comestibles ici. T'as vu le dieu grec avec les Ray Ban qui peaufine son bronzage à côté ? Je l'aiderais bien à passer du monoï partout sur son corps si tu vois ce que je veux dire...

- Je vois toujours ce que tu veux dire Cam'... C'est bien le problème d'ailleurs !

- Non mais attends, ne me dis pas qu'il ne te fait aucun effet ?

- Je suis prise ma chère, au cas où tu ne t'en rappellerais pas... tu sais, Thibaud, mon homme ?

- Ah ça, je ne risque pas de l'oublier... Depuis qu'il t'a mis le grappin dessus tu n'es vraiment plus marrante.

- Parce que je ne m'extasie pas sur tout ce qui bouge ?

- Tout dépend de ce qui bouge... T'as vu celui-là avec le gros bide poilu ? No way !

Le mec en question passe devant notre table en nous faisant un petit signe. Il a certainement vu qu'on le regardait... mais pas pour les bonnes raisons !

- Tu es tellement méchante !

- Réaliste plutôt ! On est des canons, assume ! Je ne vois pas pourquoi on réserverait tout ça pour un seul homme, c'est juste chiant.

Elle caresse sa jambe en rigolant et je ne peux m'empêcher de hocher la tête. Camille et moi on n'a jamais vraiment eu la même manière de voir les choses. Elle est plutôt indépendante et rentre-dedans et moi... je suis tout le contraire. Mais elle me sort de ma zone de confort et moi je la calme un peu. En fait, on est parfaites l'une pour l'autre. Et depuis le CM1, on ne s'est jamais quittées. Je l'adore, mais ces temps-ci, elle critique ma relation presque constamment. J'imagine que j'ai été un peu moins disponible pour elle... Il vaut mieux changer de sujet.

- La journée risque d'être longue avec un soleil pareil...

- M'en parle pas, sans parler que la chaleur ramène toujours son lot de relous.

- C'est clair... Si seulement on pouvait être embauchées à faire autre chose pour une fois !

- Va savoir, ça peut peut-être changer...

Elle évite mon regard quand je me retourne pour la dévisager. Mais j'arrive tout de même à déceler ses petits yeux rieurs derrière ses lunettes XXL.

- Ouh la ! Je n'aime pas du tout quand tu es comme ça ! Énigmatique... Je peux savoir ce que tu as derrière la tête ?

- Moi ? Mais rien !

- Arrête un peu, tu ne me la fais pas. Qu'est-ce que tu as fait encore ?

- Tu vois, c'est pour ça que je ne te dis rien, tu prends la mouche pour un oui ou pour un non !

- Camille...

- OK, OK, ça va ! Il se peut que je nous aie inscrites pour un autre job. Mais avant que tu paniques, sache que c'est complètement dans nos cordes.

- J'en étais sûre ! T'es incroyable sérieux !

- Attends, ne me dis pas que tu prends ton pied dans ce bar à moitié mité ?

- Hum hum !

Une voix masculine interrompt notre discussion. Nous nous retournons péniblement sur nos chaises en plastique pour découvrir notre manager, Karl, les mains sur les hanches et l'air plus que vexé. Si ça n'améliore pas l'ambiance au boulot, je ne comprends pas...

- C'est quand vous voulez hein... relance-t-il.

- Il nous reste deux minutes sur notre pause déjeuner Karl !

Elle est tellement gonflée Camille des fois. Elle lui fait un petit mouvement de main histoire d'en rajouter pendant que je lui offre un petit sourire gêné, histoire de contrebalancer. Il repart tout de même à l'intérieur en hochant la tête.

- C'est pas de ma faute si son bar est pourri !

- Bon OK, t'as gagné. C'est quoi ce job ?

Show Me YoursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant