Chapitre 2 : Quand la route est longue ...

8K 578 22
                                    

Je choisis de prendre la route par le Missouri plutôt que par le Minnesota. Je n'ai pas le sens de l'orientation mais j'espérais qu'ayant accumulé suffisamment de poisse jusque là, une bonne étoile me suivrait sur la route.

Les six premières heures furent les pus faciles, j'étais pleine de confiance et surmotivée. Quand la première déviation pour travaux rallongea mon chemin de 60 kilomètres, je tiquai un peu. Mais qu'est ce que 60 kilomètres sur toute la route que j'avais à parcourir ? Quand les travaux suivants m'obligèrent à patienter durant deux heures dans les bouchons sans pouvoir m'arrêter faire une pause café et pipi, ma motivation en avait déjà pris un coup !

Il était 21h quand je m'arrêtai dans une bourgade peu avant Kansas city. J'y trouvai une sorte de motel, un peu miteux mais bien suffisant pour y passer la nuit. Après m'être garée, j'emportai mon sac à dos contenant le minimum pour la nuit. Dans l'entrée on entendait la télévision en fond sonore, la lumière se partageait entre l'écran et un vieux luminaire qui aurait pu paraître rétro s'il n'était couvert de poussière. Épuisée, j'appelais afin qu'on s'occupe de moi. J'étais passablement désespérée, je priai silencieusement les étoiles, les saints et tous les dieux disponibles pour qu'une personne arrive au plus vite, une envie pressante me taraudait depuis une heure.

J'en arrivai aux divinités nordiques, quand un homme bedonnant arriva en trottant. A la vue de son allure, je devinais que je l'avais dérangé alors qu'il était aux toilettes. Oups !

- Que puis-je pour vous ? me demanda-t-il sur un ton affable.

- Bonsoir monsieur. Je souhaiterais prendre une chambre pour une nuit, s'il vous plaît.

- Avec vue sur le parking ou sur le cimetière ?

Pour le coup, je fus surprise, c'était quoi cette question ? Le parking ou le cimetière ? Je restai comme deux ronds de flan pendant quelques secondes avant de me resaisir. Le parking, au moins je pourrais surveiller ma voiture et si ça peut m'éviter de voir des revenants ou autres créatures lugubres autant choisir les voitures. Et puis niveau présage, ça craint moins ! Enfin je crois.

- Voilà la clé de la chambre 12. C'est au bout du couloir à droite. Petit déjeuner ?

- Quoi, petit déjeuner ?

- Est ce que vous prendrez un petit déjeuner ? Me dit-il, puis il baragouina quelque chose dans sa barbe que je ne compris pas.

- Ah, euh non ça ira, je compte partir tôt je ne voudrais pas vous déranger.

Il grommela encore et me fit payer la chambre, comme cela, me dit-il je n'aurai pas à le faire le lendemain. Je le soupçonnai plutôt de s'assurer qu'il serait vraiment payé et que je ne me sauverai pas comme une voleuse.

J'abrégais ses souffrances et les miennes en lui prenant la clé et en allant dans ma chambre. Celle-ci n'était pas si mal si l'on faisait abstraction du linoléum jauni et décollé dans les angles de la pièce, du papier peint embelli de toiles d'araignée et de la douche à l'hygiène douteuse. Ouais OK : ça craint. Ne voulant même pas regarder l'état des draps, je sortis mon duvet extra compact et l'installai dessus. Après une toilette de chat, j'avalai quelques barres de céréales que j'avais prises à la dernière station essence puis me couchai en espérant que le sommeil viendrait facilement et serait reposant.

Il faut dire que depuis la diffusion de la publicité pour la mayonnaise, je ne dormais plus très bien. Au début, je gardais mon téléphone allumé, près de moi, il me servait de réveil. Mais quand je me mis à recevoir cinquante puis cent notifications des réseaux sociaux de messages d'amis puis d'inconnus, messages pour rire au début, parfois insultants et surtout pervers, alors je compris qu'il fallait que je l'éteigne. Mais l'angoisse de découvrir chaque matin, de plus en plus de messages m'empêchait de trouver le sommeil.

J'ai fini par me désinscrire et supprimer tous mes comptes, mais les commentaires que j'avais pu lire, me rappelait la honte que j'ai ressenti la première fois que le spot publicitaire était passé. J'étais chez mes parents et Harry me téléphona pour me prévenir :
- Allume ta télé sur la 14, la pub est en train de passer !

Je fonçai dans le salon et mis la chaîne qu'il m'avait indiquée. j'en fus d'abord amusé, puis quand je vis le regard de mon père. Le regard qu'aucune fille ne veut voir dans celui de son père : du dégoût, de la déception aussi. Ma mère, la main sur la bouche se retenait pour ne pas faire de commentaire. Mon père prit alors la parole :

- Tu te rends compte de ce que tu as fait ? De la honte et de l'humiliation que tu nous fais subir ?

Là, je compris ma bêtise. Mes yeux se sont brouillés de larmes.

- Je ne veux plus jamais te voir, tu me fais honte.

- Maman ! ai-je tenté.

Mais elle s'est détournée de moi et a fui dans sa chambre. Mon père prit mes affaires pour me les jeter dans les bras et me mit à la porte de la maison qui fut la mienne pendant vingt ans.

C'est sur cette dernière image que j'ai vu mes parents pour la dernière fois. Je ne sais pas s'ils trouveront la force de me pardonner.

Je m'endormis alors, les larmes coulant silencieusement sur mes joues.

Le biker et moi 1- SpencerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant