La photographie
On toqua à la porte. J'entendis la bonne ouvrir et conduire quelqu'un vers le salon où je me trouvais. Je finissai mon verre et allai accueillir le visiteur. C'était le jeune photographe du journal. J'avais demandé à changer ma photo sur l'éditorial du quotidien que je dirigeais. Je le saluai :
« – Bonjour.
– Bonjour monsieur. J'ai appris pour votre femme ; toutes mes condoléances...
– Merci, coupai-je sèchement. Commençons, voulez-vous ? Je n'ai pas beaucoup de temps à vous consacrer. »
Les circonstances de la mort récente de mon épouse étaient suffisamment ancrées dans mon esprit pour que je ne veuille pas m'appesantir dessus.
Je le conduisis jusqu'au bureau où la photo devais être prise. Pendant que le jeune homme installait son matériel, je m'installai à mon bureau et me servis un verre. Lorsque l'appareil fut prêt, je m'astreignis à l'immobilité. Un courant d'air froid passa entre mes chevilles. Je frissonnai. Soudain une rafale de vent fit voler toutes les feuilles posées sur le bureau. Je pestai agacé, tout comme mon collègue. J'allais devoir attendre de longues minutes, le premier essai photographique venant d'être gâché. Pendant que le photographe réajustait son matériel, je ramassai les papiers éparpillés sur le sol. Puis j'aillai à la fenêtre pour la fermer. J'écartai les rideaux et m'aperçus qu'elle était déjà close.
Le filet d'air froid revint se glisser le long de mes jambes et une sueur glacée se mit à couler le long de mon dos. Mal à l'aise, je retournai m'asseoir à mon bureau. Je me servis un autre verre et le bu aussitôt. L'alcool répandit une douce chaleur en moi et mon inquiétude précédente fut oubliée. À la demande du jeune homme, je ne bougeai plus. Son appareil cliqueta et il récupéra le négatif. Mais il fronça les sourcils, et déchira le papier avant de le jeter à la poubelle.
« - Désolé, il est raté. »
mais je regardais les morceaux du négatif flotter doucement, trop doucement jusque dans la poubelle. Les bouts de papier tombèrent et... Se liquéfièrent. Un liquide rouge et poisseux suintait de la corbeille et recouvrait à présent le sol. Je levai les mains devant mon visage et m'aperçut qu'elles étaient couvertes de sang. Le courant gelé revint me frôler insidieusement. Je clignai des yeux et la pièce redevint tout à fait normale. Je me servis alors un verre et le bu. Mon jeune collègue lança un regard peu amène à la bouteille posée à côté de moi, à qui il attribuait sûrement mon comportement exécrable et impatient.
Un gémissement s'éleva soudain et fit trembler les verres et frémir la vitre de la fenêtre. Une explosion retenti et de la fumée sortit de l'appareil photographique. Son propriétaire l'ouvrit et en sortit l'ampoule totalement détruite. Il m'expliqua quelque chose à propos du surchauffement de l'appareil. Je n'écoutai pas, paralysé de terreur par cet air froid qui me gelait les entrailles et glaçait mon sang. Je réussi à sortir de ma transe horrifiée et me précipitai vers la porte. Je tentai de l'ouvrir mais elle était bloquée. Nous étions enfermés. Paniqué, je m'échinai sur la poignée lorsque le photographe vint à moi et me repoussa délicatement. Il tourna le bouton de la porte qui s'ouvrit sans bruit.
« – Vous tourniez dans le mauvais sens, m'expliqua-t-il.
– Ah, je... Oui évidemment.
– Vous êtes sûr d'aller bien ? Vous avez l'air... égaré. »
Égaré je l'étais. Et sans aucune raison, complètement affolé. L'image du cadavre de ma tendre épouse revint s'imposer dans mon esprit. Je frémit et retournai à ce que me disais le jeune homme en face de moi.
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RandomCeci est un recueil de nouvelles, mais tu y trouveras aussi des poèmes, des critiques littéraires, des photos... Je ne publie pas très régulièrement ici, mais quand je le fais ça en vaut la peine (j'espère).