Nouvelle #2

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Respirer tue

Nous arrivâmes devant une planète. Grise, éteinte, poussiéreuse, sans vie. Aussi quelle ne fut pas notre surprise lorsque nos capteurs se mirent à hurler. À les entendre, une population de près de 2 milliards d'habitants se trouvait sur cette petite sphère grisâtre. Soit autant que sur notre planète mère. Ébahi nous échangeâmes des regards perplexes. Si jamais quelqu'un vivait sur cette planète, il y vivait dans des conditions épouvantables. Une température moyenne de 318° Kelvin, une atmosphère saturée de dioxyde de carbone et d'azote, une humidité proche de 0%. Effrayant. Circonspect, j'ordonnai d'envoyer un message radio. Je regardais mon confrère chercher une fréquence de communication, en vain.

Soudain le crachotement cessa, pour faire place à une série de bip aigus. L'ordinateur traduisit ce son insistant par une série de traits et de points.

«-... .. . -. ...- . -. ..- . -... .. . -. ...- . -. ..- .»

Surpris, nous reconnûmes du morse. Ainsi, le peuple de cette planète maîtrisait ce langage si utile ? Rapidement, je notai et le message et le transcrivit dans un alphabet plus conventionnel. « Bienvenue ». Répété à l'infini. D'un geste, je donnais l'ordre d'amorcer l'atterrissage.

Notre vaisseau se posa dans un nuage de poussière sur le sol couvert de cendres. Nous enfilâmes tous nos combinaisons et sortîmes de notre navette. Quand nous posâmes un pied sur le sol, nous fîmes s'envoler une petite nuée de particules grisâtres. Sans nos masques, nous aurions sûrement été étouffés par cette atmosphère terriblement polluée. Nous regardâmes tout autour de nous. Un désert de cendres, battu par le vents. Les dunes de poussière grise s'étalaient à perte de vue. Il n'y avait personne aux alentours. Pas la moindre trace de vie. Nous commençâmes à nous demander si le message que nous avions entendu ne datait pas d'un autre temps. Nous attendîmes encore un moment avant de sortir les tous appareils nécessaires à nos mesures. Même si nos capteurs s'étaient trompés, il y avait eu de la vie, un jour, sur cette planète. N'importe quelle trace de civilisation pouvait nous aider dans nos recherches sur l'univers.

C'est à ce moment que nous comprîmes : nos capteurs nous indiquaient une vie souterraine. Les habitants avaient été obligés de se réfugier sous terre ! Un de mes collège m'appela. Il venait de déterrer une grande plaque de fer lisse, comme coulée dans le sol. Intrigué, je toquai un «--- ..- ...- .-. . --..» ; « Ouvrez » sur ce morceau de métal qui me semblait être une porte. Aussitôt une alarme se mit à sonner sous nos pieds. Des bruits de course nous parvenaient, étouffés. Soudain, la porte, dans un chuintement, coulissa, dévoilant un sas vertical, semblable à une cage d'ascenseur. Sans hésiter, je me laissai glisser à l'intérieur. Après une chute de quelques mètres, j'atterris violemment sur une surface métallique. À droite, un couloir descendait doucement. Je fis signe à mes amis, qui me regardaient de là haut et me décalai pour qu'ils puissent me rejoindre. Une fois tous arrivés, nous nous dirigeâmes dans le boyau d'acier.

Le couloir s'arrêtait devant un mur de fer. Qui s'effaça devant nous pour nous révéler les habitants de cette planète.

Ils nous fixaient de leur yeux immenses et opaques. Ils possédaient une sorte de petite trompe percée de trous qui devait leur servir à filtrer l'air, à peine plus respirable sous terre. Leurs têtes, ridiculement petites par rapport à leurs corps étaient d'un vert sombre. Leurs corps immenses et larges nous surplombaient de toute leur hauteur. Par signes, ils nous indiquèrent de les suivre ; leurs trompes ne leur permettant apparemment pas de parler. Ils nous conduisirent jusqu'à une pièce où nos appareils nous informèrent que l'air était respirable. Nous enlevâmes nos casques. Et eux enlevèrent leur tête.

Leurs immenses yeux, leurs trompes... Il s'agissait de simples masques. Dessous, leurs visages ronds, leurs yeux petits et leurs bouches qui nous souriaient se tournèrent vers nous. Ébahis nous les vîmes retirer aussi leurs combinaisons, laissant apparaître des corps chétifs et maigres. Pris d'un doute, j'adressai un regard interrogateur à mes coéquipiers. Devant le signe de tête affirmatif de notre doyen, nous nous retournâmes de concert vers ces... Humains.

Les humains qui hantaient nos légendes. L'un deux s'avança et me présenta son étrange main à cinq doigts. Je la serrai, stupéfait. Ces êtres destructeurs n'étaient que des mythes, enfin ! Des créatures imaginaires qui malgré leur petite taille, rasaient des montagnes, creusaient la terre, asséchaient des océans ! Pourtant je serrait bien la main de l'humain dans la mienne.

« Bonjour, bienvenue à vous étrangers. Nous savions bien que nous n'étions pas seuls dans l'univers. » L'humain qui avit prononcé cette phrase d'une voix terriblement éraillée m'adressa un grand sourire. Incroyablement, il apparut que nous parlions la même langue, habitant poutant à des milliers d'années lumières les uns des autres.

Les humains nous conduisirent dans une grande pièce dans laquelle se trouvaient beaucoup d'humains. Certains étaient ridiculement petits, d'autres avaient de longs poils sur la tête. Mais tous avaient un teint cadavérique, le corps maigre, les joues creuses. Nous nous assîmes sur des coussins colorés posés à même le sol et les humains nous entourèrent. Les plus petits paraissaient effrayés par notre apparence. Ils nous regardaient et détaillaient nos nez inexistants, nos yeux globuleux et nos lèvres fines.

Celui qui m'avait serré la main s'assit en face de moi. Il se présenta comme le chef de l' Habri548. Toute la population terrienne était dispersée dans des "HABRI", Habitation Acclimatée Bioélectriquement Résistante aux Intempéries. Comme si le mot "intempéries" pouvait être utilisé pour décrire le climat mortel qui régnait à l'extérieur...

L'humain nous montra les pièces éclairées par la lumière froide des néons où poussait le peu de nourriture qu'ils arrivaient à produire. Il nous expliqua rapidement que ces plantes étaient à la fois douce de nourriture et source d'électricité. L'humain nous raconta comment , après avoir utilisé toutes les ressources de leur planète, les humains s'étaient réfugiés sous terre, loin de l'air irrespirable et pollué. seule solutions face au nombre de morts croissant. Une terrible pandémie qui était apparue petit à petit, chaque humain s'intoxicant un peu plus à chaque respiration. Les premiers à disparaitre furent les vieillards, puis les enfants. L'indignation populaire se manifesta par une grande vague de graffitis. Sur tous murs on pouvait voir "Respirer tue". Mais cette parodie désabusée du slogan des paquets de cigarettes n'arrangea évidemment rien. L'oxygène était devnu si rare qu'il fallut payer pour respirer. Un cercle infernal qui condanna aussitôt les plus pauvres.

On avait compté plus de 8 milliards de morts, soit à peine un milliard de survivants.

Tout cela, l'humain ne l'avait pas vécu, il était né sous terre, comme tous les humains présents. Son grand-père lui avait raconté, pour que les erreurs ne soient pas répétées. L'humain termina son récit par une phrase qui nous marqua horriblement.

« À présent, pour survivre, il fallait ne plus respirer. »

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