Les derniers jours de l'homme aux yeux rouges (Chroniques des autres Terres)

Réminiscence

Au volant de sa voiture, Adam retourne au travail. Ceux qui l'ont agressés ont dû se tromper de personne, il n'y a pas d'autre explication. Soudain, Adam n'est plus dans sa voiture, il se voit avec une épée dans une main et un long bouclier dans l'autre. Il se voit combattant avec hargne ce qui ressemble à un légionnaire romain. Il ressent les coups qu'il reçoit, il sent l'odeur de sang qui emplit l'atmosphère du champ de bataille, il voit l'épée de son adversaire qui l'atteint au cou et dans une gerbe de sang, l'égorge. Adam se sent s'écrouler lourdement sur le sol et mourir, l'air s'échappant par la gorge et se mélange au sang en formant des bulles. Le romain plante alors son glaive dans son coeur pour être sûr de l'avoir tué. Et dans un dernier souffle, Adam sait qu'il est mort. Adam reprend ses esprits, il est dans sa voiture, bien garé sur le bas-côté de la route. Il est en sueur et le premier geste qu'il fait est de mettre sa main droite sur son cou. Rien, aucune blessure, même pas une éraflure, il n'a absolument rien. Il reprend la route et quand il arrive devant le parking de son entreprise, la grille est fermée. Adam regarde l'horloge de sa voiture et s'aperçoit, étonné qu'il soit 19 heures. Il ne comprend pas ce qui s'est passé et rebrousse chemin en direction de son pavillon. Après une bonne nuit de sommeil, tout paraîtra plus clair. Mais quand il arrive à proximité, il remarque que cinq 4x4 à la peinture sombre sont garé devant chez lui et qu'il y a de la lumière chez lui. Il est sûr que ce sont encore les hommes qu'il a croisés à l'hôpital. Il ne sait pas ce qu'il doit faire, il ne sait pas qui sont ces hommes. Adam se décide après quelques minutes de réflexion d'aller voir son frère Antoine, qui habite à une centaine de kilomètres de chez lui. Il ne pourra pas lui refuser de l'accueillir pour la nuit, car l'affection qu'ils ont l'un pour l'autre n'a jamais failli. Il reprend la route et arrive à la porte du pavillon de son frère. Il appuie sur la sonnette de l'entrée et quelques secondes plus tard, la porte d'entrée s'ouvre. C'est un homme qui lui sourit.

-Bonjour, monsieur! Vous désirez?

-Ah, Antoine! Tu ne peux pas savoir ce qui vient de se passer! Je suis si content de te voir!

L'homme regarde Adam d'une façon curieuse.

-Pardon, monsieur! Mais, qui êtes-vous?

-Mais...C'est moi, Antoine! Je suis Adam!

L'homme ne semble pas le reconnaitre.

-Je trouve votre humour très douteux! Mon frère est mort il y a six ans dans un accident de voiture avec sa femme.

-Mais c'est moi, Antoine! On s'est vu il y a deux semaines!

-Je ne sait pas qui vous êtes, monsieur! Mais si vous continuez, j'appelle la police!

Adam préfère retourner à la voiture. Il monte dedans et après avoir renfermé la porte derrière lui, il se met à pleurer. Il est triste, infiniment triste. Il faut qu'il aille dormir, la meilleure solution est de trouver un hôtel. Il pense que ceux qui le poursuivent ont dû mettre les banques sous surveillance et s'il utilise sa carte bleue, ils sauront où il se trouve. Il regarde dans son portefeuille s'il a du liquide. Il a environ 300€, il avait prévu une partie de cet argent pour acheter un cadeau pour l'anniversaire de son petit-fils. Mais maintenant, son petit Noé se souviendra-t-il de lui? Il démarre son véhicule et roule à la recherche d'un hôtel pas cher. Il s'arrête devant un petit hôtel, rejoint l'accueil et prend une chambre. Il se sent tellement las, tellement fatigué et il se couche. Et à peine, il ferme les yeux qu'un nouveau flash le submerge. Cette fois-ci, il est accroupis et habillé de peau de bête. Il tient excessivement fort une branche d'arbre de ses deux mains et une douleur inimaginable lui déchire le ventre. Il est en sueur et pousse. Il regarde son bas-ventre, il n'est pas un homme, il est une femme et il est en train d'accoucher. La douleur est si intense et il voit la tête d'un bébé sortir de son intimité. Il ressent, entend, voit et sent tout ce que la femme ressent, il n'est plus Adam, il est cette femme et quand enfin l'enfant vient à la vie, il ressent la plénitude et la tendresse de la mère envers son enfant. Il coupe le cordon ombilical avec un silex puis pose alors la bouche du bébé sur son sein pour qu'il tête. Il reprend ses esprits, il est à nouveau dans la réalité avec le coeur emplit d'une tendresse infinie. Encore une fois, il ne sait pas ce qui vient de se passer mais l'expérience était très intense, trop intense à son goût. Couché dans son lit, il regarde sa montre, il est deux heures du matin. Adam ne sait pas quoi faire. Que lui ont fait ces hommes et pourquoi ses yeux sont totalement rouges. Pourquoi lui, il n'a jamais rien fait de mal, il a été un bon employé, un bon mari, un bon frère, un bon père. Il n'a pas mérité ça. Adam se couche sur le côté, s'endort et malgré la tension de la journée, il fait une bonne nuit de sommeil. À 6h, il se réveille comme à son habitude, prend une douche, sort de sa chambre, rend la clef et va prendre un petit-déjeuner dans un petit café du coin. Puis il reprend sa voiture et se dirige vers son travail. Il ne sait pas pourquoi, mais une intuition lui traverse l'esprit et il se gare à deux pâtés de son entreprise pour faire le reste du chemin à pied. Il passe par l'accueil quand soudain la voix fluette de l'hôtesse se fait entendre.

-Monsieur, monsieur! Crie-t-elle pratiquement. Vous ne pouvez pas rentrer ici, c'est réservé uniquement aux personnels de l'entreprise.

-C'est moi, Camille!

-Qui vous, c'est la première fois que je vous voit!

Il s'approche de la jeune femme qui la veille lui avait prêté son miroir. Adam s'aperçoit que comme son frère, elle non plus ne le reconnait pas! Soudain, il entend des pneus crisser sur le gravier du parking, ce sont les mêmes voitures qui étaient garées la veille devant son pavillon. Il sourit à l'hôtesse d'accueil.

-J'ai dû me trompé, dit-il en faisant un clin d'oeil à la jolie jeune femme, mais toutes les entreprises du coin sont fait sur le même modèle, vous verrez quand vous aurez mon âge, la mémoire commencera à vous faire défaut.

La jeune femme sourit tandis qu'Adam sort de l'entreprise et passe par un petit passage qu'il empruntait quand la société venait d'emménager dans ses murs, cinq ans auparavant, en passant derrière les hautes haies. Il sort discrètement de l'enceinte et regagne sa voiture tandis qu'il voit les hommes qui le poursuivent, entrer par la porte de l'accueil. De son côté, Adam regagne sa voiture. Qu'est-ce qu'il peut faire, plus personne ne le reconnait, il a l'impression qu'il n'existe plus et cette sensation étrange enserre son coeur d'une profonde tristesse. Il voudrait voir une dernière fois sa fille, son fils et tous ses petits enfants. Mais comment approcher des personnes qui dorénavant le considère comme un inconnu. Décision est prise, il va aller chez sa fille pour la voir une dernière fois.