«Après avoir été tuée mille fois, je meurs enfin.»
_________Je me lève, sans prendre le soin d'épousseter mes hardes. Très vite, les cris autour de moi qui mettent en garde contre un prochain bombardement me ramènent brutalement à ma réalité, celle qui ne m'a jamais abandonnée. Je me mets à courir très vite pour sortir de cet endroit qui risque d'une minute à l'autre de disparaître. Je cours encore plus vite qu'auparavant, car oui ma vie se résume à courir pour protéger ma vie, jusqu'à grimper sur une haute colline, de laquelle, impuissante, j'assiste au bombardement et à la destruction de tout un pan de ma ville, sous mes yeux. Ma ville s'enflamme sous mon regard impuissant, et les larmes coulent, coulent, et coulent encore. Mon coeur se serre, un haut-le-coeur me prend, et je crie de douleur, je crie ma peine à mon Dieu, je crie ma souffrance, je crie mon envie d'en finir, je crie, je crie, et je crie. Puis, vidée de toutes mes forces, je tombe à nouveau sur mes genoux et une douleur lancinante me surprend. J'invoque du plus profond de mon coeur et de mon âme contre ceux qui nous font souffrir de cette manière, j'invoque de tout mon être, et je sais que mes prières sont entendues, puis acceptées, je le sais, et c'est inexplicable.
Une énième explosion se fait entendre, me prenant par surprise, mais je n'ai même pas bronché. Je n'ai pas sursauté. Non, et je ne le ferai pas. Si une explosion vous fait peur, sachez que j'ai été bercée par ces bruits d'horreur toute mon enfance. C'est sur le bruit de ces explosions que je m'endormais et me réveillais chaque matin, avant d'entendre les cris de ma mère, puis ceux de mon père. Je me réveillais à cause des coups de feu et canons, je renversais mon eau à cause de ces coups là, je mangeais accompagné par eux, et enfin, je m'endormais en entendant les mères pleurer leurs enfants, découverts morts.
Alors aujourd'hui, après dix-sept années bercées par ces bruits là, il serait ridicule d'affirmer qu'ils me font sursauter, non, loin de là, mais ils me paralysent. Ils me hantent. Ils me terrifient, et non pas par peur, mais par traumatisme. Après tout, n'ai-je pas assisté à la mort de mon père, abattu par trois balles visées en plein cœur, ou encore à celle de mon grand frère mort dans un bombardement d'hôpital ? Dans ce monde où la compassion a disparu, où le bonheur devient introuvable et où l'espoir meurt sans renaître, il ne me reste que ma mère. Ma mère, à qui je donnerai, si j'avais milles âmes, les milles. Mais en attendant, n'en possédant qu'une seule, je la lui offre milles fois.
Les genoux en sang, je m'en vais en direction de notre cachette. N'en pouvant plus, je m'arrête dix secondes pour resserrer le garrot empêchant le flot de sang de s'échapper de mon pied meurtri. Ce n'est qu'un détail, une balle visée mais perdue. Le garrot resserré, je me mets à courir pour ne pas être atteinte par une autre balle. Je cours pendant encore une bonne heure, peut-être deux, voire même trois, je ne sais pas, je ne sais plus, le temps ici ne veut plus rien dire. De toute façon, comment compter le temps ? Je traverse depuis le début de ma course, le cœur serré, des milliers de corps et décombres, alors ici, le temps n'a plus d'importance.
Enfin, j'arrive devant le rocher derrière lequel s'abrite la grotte dans laquelle je reste pendant la journée avec ma mère. Oui, nous ne pouvons comme des milliers d'autres personnes, sortir en pleine journée. La preuve est ce qui m'est arrivée. Nous devons repartir dans nos maisons, si maison il nous reste, à la tombée de la nuit. Les plus jeunes se chargent de chercher de la nourriture.
J'arrive devant la grotte et mon cœur se soulève, la peur y pénètre.
Ma mère n'y est pas présente alors qu'elle n'a jamais quitté la grotte depuis la mort de mon père.
Je rentre effrayée dans la grotte en essayant d'y voir quelque chose. Mais les seules choses que j'aperçois m'effraient au plus au point.
«Maman, tu ne m'abandonnes pas, n'est-ce pas, pas comme eux tous, non, n'est-ce pas, je m'effraie pour rien ?»
-Xinnocent, qui aurait pu vivre votre vie.
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«Et la mort les fait vivre»
Historical Fiction«Sur ce papier, glisse ma plume, assombrie par l'encre de mes pensées noires. Mes pensées, voilées par les mirages me consumant, tournent en boucle et meurent avant même d'avoir laissé place à une once d'espoir.» -Xinnocent -Conformément aux droits...