« J'ai changé ! »
Une affirmation faite avec la plus grande sincérité, une déclaration proclamée tout haut avec la conviction d'y croire, ou bien une oraison jaculatoire dite sans fondeur de vie et d'espérance ?
Qu'est-ce que sont ces innocentes e...
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- Et la petite Salem ?, tente une fois encore ma mère, l'air de rien, en touillant gracieusement - l'auriculaire levé vers le ciel - son thé.
Elle en est déjà à sa troisième gorgée et s'il prêtait bien le regard, l'homme inconnu qui vient de passer à côté de notre table pourrait croire qu'elle n'y a jamais encore touché. J'ignore comment elle fait cela, mais le rouge carmin qui recouvre ses lèvres fines et saisies par le froid de cette fraîche matinée, ne marque étrangement pas le rebord de sa tasse. Toutefois, même si cela m'étonne, je ne me risque pas à lui demander sous peine qu'elle oriente la discussion sur la nouvelle gamme cosmétique en vogue de l'Oréal. Nous y passerions trop de temps, tant elle est intarissable sur le sujet, et nous ne sommes pas là pour ça aujourd'hui. À la place je laisse simplement ce mystère alourdir un peu plus le mythe de sa perfection, au file des années, devenu légendaire.
Aujourd'hui, tout est bien plus important qu'un rouge à lèvres.
Pour en revenir au sujet primordial, en réponse à sa tentative indiscrète et vaine, je soupire ouvertement de façon à ce qu'elle comprenne bien qu'elle me tanne, puis me laisse aller contre le dossier de mon siège. Son impeccable visage s'assombrit sans pour autant y faire apparaître la moindre ride, et je sais déjà ce qu'elle pense avant même qu'elle ne l'ai vraiment pensé elle-même. Elle déteste que je persiste à garder pour moi ce qu'elle est persuadée que son statut de mère lui donne le droit de savoir. Et effectivement, le cube de sucre qu'elle lâche trop grossièrement dans son thé pour que le geste paresse anodin, l'a trahi.
A cet instant, son comportement est l'emblème même du caprice. Heureusement, elle a autant conscience que moi de frôler le ridicule et pour une femme de sa trempe c'est inadmissible. Alors entre un petit jeu de mimiques enjouées, et deux faux sourires qui illuminent et bernent en général ses interlocuteurs, elle étouffe dans l'œuf sa contrariété. La minute d'après elle trempe gracieusement ses lèvres dans son thé, son visage redevenant aussi lisse qu'une feuille tout juste sortie de la finition d'une machine à papier, prête à être livrée.
Voilà qui est mieux !, Je ne peux m'empêcher de penser en mon fort intérieur.
- Tu sais très bien où elle est, maman !, je réponds tout de même après avoir fini d'un trait mon café.
Ces derniers temps, je suis obligé de réorganiser certains points et revoir certains de mes projets. Mon planning entier est remis en question par la présence d'une nouvelle variable inattendue mais qui de toute façon trouvera sa place parmi nous. Il n'en va pas autrement. Hélas, tous ces aménagements minutieusement travaillés finissent par me conduire où je suis aujourd'hui. C'est à dire dans un restaurant huppé avec en face de moi, mon père cet homme toujours aussi pragmatique, qui attend silencieux et observateur que j'énonce la raison de notre rassemblement familial, et à ses côtés, sa femme et ma mère, toujours aussi raffinée dans ses gestes et paroles, et exceptionnellement belle et bien conservée pour ses cinquante-cinq ans.
