Confessions au Speed Queen

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Lakewood, Colorado, quinze jours avant cette dernière nuit sombre.

Voilà deux semaines qu'ils avaient pris la route. Il était à présent temps pour les deux frères de s'accorder une halte "lessive". Vu l'espace restreint de leur van, ils n'avaient pas eu l'occasion d'emporter beaucoup de vêtements. La minuscule armoire encastrée dans le véhicule ne contenait seulement que quelques sous-vêtements, plusieurs chemises et leurs costumes. Maintenant que le linge propre venait à leur manquer, Augustin repéra un lavomatic sur leur route grâce à son téléphone intelligent.

Après de nombreux miles, Augustin arrêta enfin le "Twin Preacher Tour" sur le parking du "Speed Queen Laundry" à Lakewood. Tout en manœuvrant, il trouva amusant que les burgers avaient droit à leur King tandis que les laveries héritaient d'une reine. La façade rouge et blanche du lavomatic était estampillée en guise de logo d'un immense "Q" rouge surmonté d'une couronne. Plus bas, à hauteur du trottoir un énorme sas tout en verre accueillait les visiteurs. Sur la porte étaient collés les horaires d'ouverture et quelques règles d'usage ou de bien séance.

A gauche de l'entrée, comme un aquarium présenterait fièrement sa faune à qui souhaiterait l'observer, de grandes baies vitrées laissaient entrevoir le contenu de l'établissement. Cette vitrine était illuminée d'une inscription en néon rouge cerclé de bleu : "Self-Service laundry".

Les deux prêcheurs toujours vêtus de leurs costumes noirs sortirent chacun du camping car, un sac en toile de jute blanc à la main. Octave s'avança vers la porte pour pénétrer dans le sas. La porte s'ouvra aussitôt automatiquement. Augustin emboîta le pas d'Octave. Depuis le sas, ils purent observer le couloir. Le sol en vinyl gris y laissait place à un carrelage à carreaux noir et blanc. Comme si une partie d'échecs allait se jouer dans le lavomatic. A leur droite directement après le sas, un cheval mécanique pour enfants figeait l'horizon de son regard vide. Il semblait tout droit sorti de l'un de ces films d'horreur où des jouets se transformaient en tueurs sanguinaires.

Le couloir sur la gauche menait vers le lavomatic en lui même. Il y avait plus de 10 machines à laver accompagnées de quelques chaises rouges en plastiques fixées au sol. Une dame typée afro-américaine d'une quarantaine d'année était installée sur l'une d'entre elle. Le temps que son linge soit prêt, elle lisait un livre dont la couverture faisait penser à un bouquin pseudo-érotique pour adolescentes. Quand elle vit passer le duo pieux dans le sas, gênée, elle jeta l'ouvrage dans sa besace en paille. L'attention des deux frères étaient pourtant portée ailleurs.

Droit devant, le couloir menait à une petite cantine. Une grande table métallisées était également vissées dans le sol. Des chaises rouges similaires à celles de la pièce à côté entouraient l'immense autel rectangulaire. Tout autour, le long des murs de la pièce, des distributeurs automatiques de boissons et de nourriture. Il y en avait pour tout les goûts : burgers, quesadillas, chapati, hot-dogs, sandwiches froids et même des quarts de pizza ! Les deux frères n'en revenaient pas.

Octave ne se tenait plus. Il observa un à un les distributeurs érigés comme des tours bâtissant une forteresse autour de la table centrale. La surface métallisée de celle-ci réfléchissait de manière brouillée les milles couleurs des façades alléchantes des automates. Octave se retourna sur son jumeau, un sourire malicieux décorait son visage et il lança : "Voici notre terre promise. Un temple y a été érigé. Voici mon frère le royaume du paradis !"

Augustin trouvait la réplique de son frère assez déplacée. Cependant il ferma les yeux et souri. Il devait reconnaître que cela l'avait tout de même amusé. Tout en hochant la tête vers le haut, sourire aux lèvres il répondît à son frère: "T'es con !". Il ouvrit à nouveau les yeux, plongea son regard dans celui d'Octave et appliqua fermement sa main droite sur l'épaule gauche de son semblable avant de continuer: "Cette fois c'est moi qui régale mais encore un blasphème idiot et c'est toi qui paye l'addition !".

La complicité commençait seulement à naître entre les deux frères. Leurs chemins avaient pris des horizons différents et ils s'étaient perdus de vue pendant plusieurs années, leur connivence était jusque ici devenue difficile.

Plusieurs minutes plus tard les deux prêcheurs s'affairèrent assis autour de la table, ingurgitant un repas diablement calorique. Augustin se demanda s'il n'aurait pas été plus sage de démarrer le programme de lavage avant de passer à table. Cela leur aurait permis de cueillir le linge tout propre après le repas. Ce qui est fait est fait se dit-il. Après sa dernière bouchée, il se leva, pris son baluchon et invita Octave à en faire de même.

La dame au livre avait quitté les lieux pendant leurs victuailles. Ils vidèrent chacun leur sac dans une machine. Augustin referma le hublot du lave-linge et s'arrêta net. L'air songeur il se tourna vers Octave qui sifflotait. Augustin interrompu son concert. "Ne ferions-nous pas mieux de laver nos costumes également ?"

Octave, sans réfléchir, attrapa la ceinture de son pantalon et en démit la boucle. "Ouais tu as raison mon frère. Lavons tout cela !" Sans pudeur aucune, Octave avait retiré tout son costume et sa chemise en deux temps trois mouvements. Il reprit d'ailleurs son sifflotement joyeux en ouvrant à nouveau le hublot de la machine. Incrédule Augustin était resté figé. Ses yeux balayaient les lieux de gauche à droite. On aurait dit une pendule attendant que le coucou ne vienne sonner l'heure juste. Octave se retourna vers lui et compris que son frère était paralysé à l'idée de se retrouver presque nu en public.

"Mais arrête. Détends-toi, tu vois bien que l'on est seuls." lui lança Octave. "Tu fais la même tête que ce canaçon débile là-bas." continua t'il, en pointant du doigt le cheval en plastique. "On est attendus dépêche toi !" termina Octave maintenant vêtu de simples sous-vêtements noirs. Augustin céda et fini par jeter sa dignité au sol avec son pantalon. À son tour il était vêtu on ne peut plus simplement. À l'exception de ses chaussettes noires, son slip kangourou et son haut de corps à bretelle étaient blancs immaculé.

Le temps s'était soudainement arrêté. Les deux frères observaient un silence monacale. Le bruit circulaire des machines à laver rythmait ce moment de malaise. En sous-vêtements, chaussures aux pieds, assis comme deux enfants attendant la visite médicale sur leurs chaises rouges, les deux frères se tenaient raides et droits, les mains sur les cuisses. Leurs regards étaient rivés sur les tambours tournant des machines. Ils semblaient hypnotisés. La scène ressemblait à un cinémagraphe où seuls les laves-linge étaient animés. Au bout de plusieurs minutes interminables Augustin ouvra la bouche pour rompre le silence "Octave ? " Le frère balafré répondu d'un austère "Oui ? " Augustin hésitait à finalement poser sa question.

Deux tours de tambour de machines plus tard, Augustin repris. "As-tu déjà tué quelqu'un ?" Il posait cette question tout en craignant de connaître la réponse qu'allait lui donner son frère. "Oui" répondit Octave banalement, comme si on lui avait demandé s'il souhaitait du sucre dans son café. Augustin porta son regard sur sa gauche et se mordu la lèvre supérieure. Octave compris que son frère avait besoin d'en savoir plus. Après tout il était peut-être temps d'avoir une conversation à propos de son séjour militaire. Sans ce passage à l'armée il ne se serait par ailleurs jamais retrouvé ici en sous-vêtements dans une laverie aux côtés de son frère. En attendant de retourner serpenter les routes pour prêcher leur bonne parole, il décida de se confesser au près d'Augustin.

Twin Preachers TourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant