Comme un miroir et son reflet, les deux prêcheurs étaient assis côte à côte opposant le tout et son contraire à la manière des pièces sur un échiquier. Leur tenue et leur soudain proximité gênait Augustin qui fuyait Octave du regard. Les yeux rivés droit devant eux, Octave entama son récit.
"La première et dernière fois que j'ai ôté la vie d'un homme c'était en Irak. Je t'ai dit qu'un accident là bas m'avait apporté une révélation. J'avais ensuite décidé de suivre ta voie de prêcheur. Jusqu'ici je n'avais jamais voulu revivre ce moment. C'est un souvenir issus droit de l'enfer mais aujourd'hui je souhaite le partager avec toi.
Nous étions en mission au milieu d'une plaine dans la province de Dyala. Au milieu de la roche et de la maigre végétation, un village ancestral de bergers et d'agriculteurs était en proie de l'armée rebelle qui s'approchait. Ils étaient en train d'étendre leur territoire et massacrait tout se qui se dressait sur leur chemin. Notre unité était chargée de bâtir un avant poste et de tenir la position jusqu'a l'arrivée de la garnison. Celle-ci serait alors chargée de protéger le village et ainsi d'empêcher l'extension territoriale des rebelles.
La construction avançait bien. Je m'étais accordé une petite pause pour m'abriter du soleil. C'était terriblement éprouvant de porter et empiler ces sacs de sables par de telles chaleurs. Nous avions l'impression de travailler dans un brasier. L'enfer, te dis-je. Je m'étais assis à l'ombre du soleil hostile. La lumière était tellement dure qu'elle laissait des silhouettes d'ombres opaques au sol. Par terre s'alternait le jour chatoyant et la nuit noire. Je somnolais tranquillement entre deux murs fraîchement bâtis lorsque j'entendis plusieurs petites déflagrations qui venaient caresser la paroi extérieur des murs.
En quelques secondes nous avions compris que nous étions assiégés ! Impossible d'estimer le nombre d'assaillants. Ils avaient dû avancer comme des ombres à l'abris de nos regards. Ces vipères avaient complètement échappées à notre vigilance. Sans réfléchir je me suis saisi de ma M5 et ai attaché mon casque purement instinctivement. Une fois sorti de mon trou je me suis retrouvé à seulement quelques mètre de celui qui tentait de me ôter la vie au nom d'un charlatan qui l'avait hypnotisé. Vu ses compétences en tir, l'homme devait probablement avoir été précédemment agriculteur ou berger. Exactement comme ceux que l'on tentait de protéger. Quelle connerie, ils se tuaient entre frères sans se poser la moindre question.
Comme un berserk je m'élança vers lui. J'avais la foi que quelqu'un là haut me protégerait. Au bout d'une ou deux secondes, je m'étais tellement approché du rebel que mes yeux pouvaient à présent se plonger dans son regard de fou. Il continuait de m'assaillir de balles. S'il avait été entraîné correctement je serais déjà mort par trois fois. Je pouvais sentir sur mes tibias les débris du gravier propulsés par ses balles perdues. Une fois bien positionné, je n'ai eu besoin de presser la détente de mon arme automatique qu'une seule fois. Trois balles firent mouche. Toujours plongé dans son regard je vis la vie quitter ses yeux et mon ennemi ne tarda pas à s'effondrer au sol. Soudain le brouhaha qui enveloppait notre campement se tut. Aucun de nos gars ne manquait à l'appel. Nos ennemis étaient aussi dangereux que des chèvres à qui ont aurait donné des Kalachnikovs.
J'expirais, plié en deux, mains sur les hanches. Après le vacarme de cette scène de guerre, je profitais de la quiétude de la plaine, perturbée par ma seule respiration hachée. Le silence paisible ne fût malheureusement que de courte durée. Je ralenti ma respiration pour écouter attentivement le bruit qui venait d'interrompre ma courte tranquillité: un sifflement aérien gagnant en intensité à chaque instant. Je compris alors qu'une rocket fonçait droit sur nous !
Je pense avoir juste eu le temps de me jeter à l'abris. Tout à été si vite. Je ne me rappelle plus de rien jusqu'à ce que je n'ouvre les yeux. Le sifflement continuait à s'infiltrer dans mon cerveau. Pourtant je gisais au sol. Toujours plus fort ce bruit devenait insoutenable. Je regardais à gauche et à droite. Je ne voyais rien. J'étais au milieu de rien. En fait j'étais au milieu du sifflement comme s'il était possible qu'il soit devenu un lieu. Et soudain il se tût brusquement. Je me retrouvais au milieu du vide, seul entouré de blanc sans repère ni horizon. Le silence, l'absence de tout. Plus aucun de mes cinq sens ne répondais. J'étais perdu au point où je commençais rapidement à regretter ce sifflement. Ce vide me filait la chaire de poule. Suis-je mort ? Est-ce ceci que je vais connaître jusqu'à la fin des temps ? L'angoisse. Ensuite, les yeux grand ouverts je vis un homme s'approcher de moi. Au début il me semblait tellement lointain que je peinais à distinguer sa silhouette se détacher de l'infini blanc qui mangeait l'horizon.
Brusquement sa silhouette avançait de plusieurs mètres d'une seule traite avant qu'il ne se remettre à marcher normalement. Comme si des glitchs se glissaient dans cette réalité immatérielle emplie de lumière. L'homme qui me rejoignait était vêtu comme le monde qui nous entourait, depuis son costume en satin blanc aux chaussures crème nacrées. Son col était même orné d'un noeud papillon en tissus blanc tissé d'une mosaïque de losanges ivoires. Cette homme, Augustin, c'était toi. Tu m'as tendu la main et m'a invité à te rejoindre.
Enfin, j'ouvrais à nouveau les yeux. Moi qui pensait les avoir déjà ouverts. Un larsen continu siffla soudainement dans mes oreilles faisant bourdonner mes tympans. Je ne comprenais pas si ce que je voyais cette fois était réel. Couché sur une civière, défilait au dessus de moi un festival de formes floues. Des visages qui m'étaient si familiers cinq minutes au paravant m'apparaissait distordus. Leurs lèvres devaient former des mots dont je ne captais pas le sens. Seul un sifflement répétitif provenait jusqu'à mon cerveau incrédule. J'ai pensé un instant que cette fois j'étais bel et bien mort. J'hurlais pour que l'on me sorte de ce rêve atroce. Mais aucun cri ne me sortait de la gorge. Je me suis cru condamné à rester enfermé à perpétuité dans ce corps éthéré.
Soudain le noir total. J'ai été transporté et rapatrié sans m'en rendre compte. Après plusieurs jours de coma, je me suis réveillé à l'hôpital. À mon réveil, le médecin m'a dit que je Lui devait la vie en me jetant une figurine du Christ. Celle-ci décorait le tableau de bord du camion de patrouille qui m'a sorti de ce merdier. L'équipe avait décidé de me l'offrir comme gri-gri. Tu sais Augustin, mon cœur s'est arrêté un instant alors que les gars me transportait. J'ai vraiment failli y passer. Plus fabuleux encore, aucun de nos gars n'a perdu la vie ce jour là. L'unité a par contre dû se replier et céder l'avant poste à ces serpents, enfants de Satan. Je n'ai jamais su ce qu'il est advenu du village que nous protéger. J'imagine le pire.
La suite de mon histoire, Augustin, tu la connais. Je t'ai retrouvé après ma revalidation pour commencer ma reconversion"
Octave leva le bras et serra son frère contre lui. Augustin n'était pas très à l'aise. Il n'avait pas l'habitude d'autant de proximité physique et encore moins d'avoir sa propre peau en contact direct avec la peau d'une autre personne. Même s'il s'agissait de son frère jumeau, il ne su dire si cela lui plaisait ou si cela l'effrayait. Après s'être enlacés, dans leur plus simple appareil ou presque, les frères constatèrent que leur lessive était sèche. Le Twin Preacher Tour allait pouvoir reprendre la route.
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Twin Preachers Tour
Mister / ThrillerBordel ! D'habitude lorsque l'on nous appelle un Jeudi soir pour secourir une petite vieille, il s'agit de récupérer son chat coincé dans un arbre. Avec le déluge de pluie et les éclairs qui s'abattent sur notre tête depuis la tombée du jour, je se...