CHAPITRE NEUF

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"J'étais la seule à tomber en morceaux"


Je levai les yeux vers le sommet du grillage. Le ciel gronda au-dessus de ma tête, mais aucun éclair n'illumina les nuages gris.

J'avais conscience de mon erreur avant de la commettre, mais je n'avais pas d'autre idée. Jaden n'était plus digne de confiance et régler mes comptes avec lui ne mènerait nulle part, mais il ne suffisait que d'une minute pour savoir si notre entrevue datait de la veille.

Je jetai un coup d'œil aux alentours, cherchant un autre passage.

-Reculez ! hurla une voix dans mon dos.

Je me retournai brusquement, baissant aussitôt les yeux vers le pied de la colline. Au loin, un homme en uniforme noir courait dans ma direction, son arme à la main. C'était la première fois que je voyais la Vigilance d'Arès, outre lorsqu'elle m'avait embarquée. Mais je n'avais pas été apte à y faire attention, à ce moment-là. Aujourd'hui, le Vigile qui s'approchait dangereusement ressemblait à l'image que je me faisais d'un policier. La mitraillette qu'il tenait contre lui était la toute première que je voyais dans ma vie. J'avais toujours été habituée aux matraques, ces armes qui, avec modération, ne tuent pas, mais qui laissent des traces douloureuses.

-Silver !

Je tournai la tête sur ma gauche. Ses baskets imbibés d'eau claquèrent sur le goudron et la seconde suivante, Ren était à mon côté. Sans me laisser le temps de reculer, il attrapa mon bras d'une main, pendant que l'autre tirait sur ma capuche.

-Garde la tête baissée, me glissa mon frère, ne le regarde surtout pas.

J'avais encore quelques restes ancrés en moi, de mes premières années. Un ordre était un ordre, et je me retrouvais encore parfois à obéir sans vraiment savoir pourquoi. Les yeux rivés vers mes pieds, Ren prit ma main et me tourna dans la même direction que lui. Ses doigts humides glissaient entre les miens, mais je m'y accrochais pour une raison qui m'échappait. Je n'aurais pas dû avoir peur, tant que cet homme ne voyait pas la marque sur nos bras, nous ne risquions rien. Mais mon cœur ne pouvait s'empêcher de cogner violemment à l'intérieur de ma poitrine. Si fort que j'envisageais que Ren puisse sentir le sang pulsé au creux de ma main.

Des rangers noirs apparurent dans mon champ de vision. Je gardai la tête baissée. Une voix puissante s'éleva dans l'atmosphère orageuse. Même le clapotis de la pluie ne parvenait pas à l'étouffer :

-Qu'est-ce que vous faites là, les enfants ?

Si son ton n'était pas aussi menaçant que je l'imaginais, il avait cette pointe de cruauté que je croyais propres aux Vigiles d'Eris. La Vigilance d'Eris était cruelle parce qu'elle nous détestait, nous les Erisiens. Et elle nous détestait parce qu'elle avait beau appartenir à l'Autre-Côté, elle était contrainte de mettre les pieds sur le même sol que nous tous les matins. Mais cet homme n'avait aucune idée de nos origines. Alors ma théorie ne tenait plus debout et j'en étais déconcertée.

Ren tira sur ma main, m'entrainant derrière lui :

-Rien. On allait y aller.

Mais il s'arrêta au bout de quelques pas. Mes yeux remontèrent légèrement, sans que ma tête ne bouge. Le Vigile avait fait un pas sur le côté, nous bloquant le passage.

-À vous y voir, on pourrait vous soupçonner de faire quelque chose de louche. On n'a pas le droit de rôder autour du quartier Bel Air. Vous le savez bien.

Il insista sur ces derniers mots. Et je me demandais s'il utilisait son arme avec autant de facilité que les Vigiles d'Eris. Mais je n'avais aucune envie de m'y risquer.

De l'Autre Côté du MurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant