CHAPITRE ONZE

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"L'odeur de la pâte à pizza brûlée"

Les cheveux dégoulinant dans mon dos, j'entrai dans la cuisine, constatant que si Nil trainait encore dans son lit, Ren était déjà levé.

Accoudé à l'îlot central de la cuisine, mon frère faisait glisser ses doigts sur le clavier de l'ordinateur. Après m'avoir abandonnée la journée entière dans cet appartement, Ren était rentré hier soir, m'annonçant qu'il ne travaillerait pas aujourd'hui. Je ne pensais pas que le soulagement serait aussi grand. Nil se révélait être d'une compagnie mortelle. S'il ne m'avait pas évité volontairement, c'était clairement l'impression qu'il m'avait laissée.

Alors que je pensais qu'il était absorbé par son travail au point de ne pas me remarquer, Ren releva aussitôt la tête et son regard s'illumina.

-Je sais que tu m'adores, lançai-je, mais ne me regarde pas comme ça.

Le sourire sur son visage s'étira un peu plus, dévoilant une unique fossette sur sa joue droite. Il portait un jogging gris foncé, et je ne me souvenais même plus l'avoir vu porté autre chose que cet horrible pantalon kaki usé.

-Tu as coupé tes cheveux, constata Ren.

Mais à en juger par l'impatience dans sa voix, ce n'était qu'une formalité. Sa joie ne venait certainement pas de ma frange fraichement coupée. Alors, j'hochai simplement la tête, le laissant poursuivre. Et il le fit aussitôt :

-J'ai un truc génial à te montrer.

Ren me fit signe de le rejoindre. Au passage, j'attrapai une bouteille de soda qui trainait sur le plan de travail, puis vins jeter un coup d'œil à l'ordinateur. Des photos se succédaient alors que Ren faisait défiler le curseur sur l'écran.

-Qu'est-ce que c'est ?

Je bus une gorgée directement à la bouteille.

-On va faire des courses en ligne, répondit Ren avec un enthousiasme inadapté.

-Ravie que ça te rende heureux à ce point, marmonnai-je.

Je me rappelais ces premières secondes floues chaque matin où la voix de mon frère me rappelait que j'allais être en retard pour l'Arsenal. A présent, sa voix était métamorphosée, façonnée par des mois que je n'avais pas vécu à ses côtés. Le contraste avec aujourd'hui était si violent que j'avais l'impression qu'il s'était transformé en quelqu'un d'autre. Ren était juste devant moi et pourtant, j'avais l'impression qu'il n'était qu'un hologramme, que mon frère avait disparu. Ou alors était-ce moi qui m'étais perdue ?

-Tu ne peux pas sortir, fit-il remarquer en pointant ma marque à demi dissimulée sous ma franche. Mais on peut se faire livrer ce que tu veux.

-Tout ce que je veux ? repris-je en haussant un sourcil.

Ma curiosité formait une cage hermétique, gardant sous sceller les inquiétudes du jour précédent et les angoisses de la nuit.

Et, une heure plus tard, le livreur sonnait à l'interphone de l'immeuble. Ren récupéra deux sacs pleins à craquer et les déposa dans la cuisine. L'un des sacs bascula sur le plan de travail, libérant des boites et des bouteilles que je n'avais encore jamais eu l'occasion de voir de ma vie. Des noms accrocheurs, des slogans plus attrayants les uns que les autres, des étiquettes colorées demandaient toute l'attention de mon cerveau habitué au gris.

Ren retourna l'autre sac et tout son contenu s'étala sous mes yeux ébahis. Les étiquettes criardes étaient révoltantes, mais surtout tentantes. J'étais redevenue cette enfant qui regardait les vieux magazines jaunis que Maria avait gardé dans un tiroir. J'avais rêvé de toutes sortes de nourriture qui appartenaient à une autre époque.

De l'Autre Côté du MurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant