Chapitre 19

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« Okthem est une planète assez incroyable. Elle n'est à première vue qu'un immense désert, une terre aride où il ne fait pas bon vivre, mais le Royaume de l'Air est bien plus qu'un simple horizon interminable de dunes et ruines de l'ancien temps. Les oasis surgissent de partout, rocailleuses ou coiffées de verdures, toujours assez proches les unes des autres pour offrir le confort aux voyageurs du désert. Certaines sont même immenses, tels que le plan d'Allasïn ou l'imposant territoire de Mudin Elbelin, véritable écrin de forêt tropicale pour le premier et terres hautement fertiles pour le second. Il n'est pas non plus anodin de parler du tombeau d'Okthem, Bneht Zayr, un océan bordé d'une bande de forêt dense réputée comme impénétrable. Seuls les moines réussissent à y vivre sans souffrir de la malédiction divine, protecteurs ancestraux de la sépulture du Dieu des Vents. »

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       Le Portail les avait emmené jusqu'à la région d'Amahdïn. Trois choix s'offraient alors à eux : rester ici et prendre racine dans un petit village reculé, aller vivre à Nashaar et profiter de la renommée artistique – et extravagante – de l'endroit pour se créer rapidement une nouvelle identité ou bien se rendre à Kael, région centrale du pouvoir d'Okthem, où Maazul avait vécu étant plus jeune et pourrait leur trouver un coin aussi confortable que discret. Les trois régions étaient frontalières mais Kael étant la plus proche de leur position actuelle, les quatre fugitifs décidèrent de se rendre... à Nashaar. Même si la royauté d'Okthem n'était et ne serait probablement jamais au courant de ce qui se passait chez ses voisins, mieux valait l'éviter. Ce fut donc ainsi que le surlendemain, après une longue journée de décuvage et de repos, la petite troupe entreprit de rejoindre la contrée des artistes.

       Voyager sous la chaleur d'Astra et dans la poussière ne dérangeait pas Sol, bien au contraire : arpenter le désert lui rappelait un peu sa vie sur Mahon, à la merci de la chaleur et des bourrasques piquantes chargées de sable. Alors, même si l'endroit était bien plus venteux et le terrain moins stable que chez elle, se promener en ces conditions était pour elle un véritable plaisir... Pas comme tout le monde. Win semblait avoir un certain mal à suivre le rythme et Eyomi, en fin de file, s'était écrasée sur son orisahb et maudissait chaque petit grain de poussière qui lui rentrait dans l'œil. Heureusement pour elle, s'arrêter régulièrement était indispensable pour conserver une bonne allure de voyage : ils avaient déjà fait une halte dans un petit hameau et au bord d'une oasis lorsqu'ils décidèrent de s'arrêter manger quelque chose, choisissant une petite taverne villageoise pour profiter tous ensemble du repas de midi.

— Il va falloir qu'on fasse attention aux dépenses..., annonça Eyomi en recomptant la somme exorbitante que leur avait laissé Darïu. N'oublions pas qu'une fois à Nashaar, il va nous falloir trouver une demeure et survivre le temps de trouver un travail. Essayons de ne pas gaspiller... N'est-ce pas, Maazul ? haussa-t-elle le ton en avisant le grand gaillard lorgner l'étalage d'un luthier.

— Une petite corde ? supplia-t-il, les yeux larmoyants. Pour mon instrument...

— Non.

       Eyomi piocha quelques keps, monnaie locale en forme de bâtonnets recouverts de métal, et en confia quelques uns à chacun de ses deux camarades criminels.

— Win, commanda-t-elle, je te laisse t'occuper des vivres. Maazul, tu viens avec moi réserver le repas de midi. Et... Euh... Toi (elle désigna Sol), vas jusqu'à l'oasis du village et remplis-y nos gourdes. Si tu y trouves quelques plantes comestibles ou médicinales au passage, sers-toi. C'est toujours ça de pris.

       Elle jeta quatre grandes outres et une besace au visage de la demoiselle avant de se détourner, Maazul sur les talons. Sol haussa les épaules devant la moue navrée de Win et suivit les ordres de la scélérate. Cela ne la dérangeait pas plus que ça de devoir traverser le village seule et encombrée, ça lui faisait même du bien de se détacher un peu du groupe : après tout, elle n'était pas leur amie. Même s'ils lui promettaient un nouveau départ – et ils avaient intérêt à tenir leur promesse, elle ne les appréciait pas plus que ça. Oui, ils étaient attachants... Mais non. Ils l'avaient embrigadé dans leur pétrin sans qu'elle ne leur demande quoi que ce soit et l'avaient obligé à trahir la royauté pour survivre. Alors, une fois qu'elle aurait l'occasion de le faire, elle s'éloignerait d'eux le plus possible. Sans le moindre merci. Rien.

       En attendant, il lui restait encore du chemin à faire : remplir ces gourdes et cette besace, par exemple. Elle accéléra le pas et se trouva bientôt en face de l'oasis, étang bordé de végétation collé aux habitations nord du village, où elle laissa tomber toutes ses affaires en soufflant. Un groupe d'enfants qui s'amusaient près de l'eau s'enfuirent à son approche, probablement en train de préparer un mauvais coup, et allèrent se réfugier dans une proche ruelle pour jouer tranquillement aux osselets. L'écho de leurs rires recouvrait presque le glouglou des outres plongées dans l'eau, rappelant à Sol son enfance à Exeloom.

       Les gourdes étaient déjà toutes remplies lorsque la jeune femme s'échappa de ses pensées. Elle fouilla le tour de l'oasis à la recherche de baies ou plantes figurant sur le livre qu'Eyomi avait laissé dans sa besace, sans succès, avant de se décider à rentrer à l'auberge. Il était midi et tout le monde avait déserté les rues pour aller manger, plongeant la ville dans un calme bercé par les voix lointaines des habitants : Sol décida de prendre son temps et de profiter de cette sérénité. Cela faisait bien longtemps qu'elle n'y avait plus goûté...

       Il y avait un portrait cloué au coin d'une rue : un avis de recherche. La jeune femme ne l'avait pas vu lors de son premier passage, trop concentrée à chercher le chemin de l'oasis, mais maintenant, ce détail ne lui avait pas échappé. Elle s'approcha du papier et détailla le visage qui y était dessiné, curieuse, avant de faire un grand pas en arrière. Elle fronça les sourcil. Elle connaissait ce garçon : elle l'avait vu deux jours plus tôt, sur la place d'un village proche, lors de ses retrouvailles passionnées avec son âme sœur.

       Le Passeur attrapa l'avis de recherche et s'immisça dans la ruelle voisine. Bien évidemment, les enfants avaient disparu... Ils avaient du se précipiter à table et abandonner leur jeu en plein milieux du chemin, prêts à le retrouver une fois le dessert terminé. Dommage, elle aurait bien voulu les interroger sur cette disparition... Sol rangea le papier dans sa besace et fit demi tour. L'aubergiste devait bien savoir de qui il s'agissait, elle n'aurait qu'à lui dire ce qu'elle avait vu et elle pourrait repartir l'esprit en paix.

       Un furtif mouvement fusa au coin de son champ de vision. Quelque chose venait de bouger près de l'oasis, sans aucun doute un animal profitant de la fraîcheur de l'eau, mais quelques instants plus tard, de petits bruits de pas accrochèrent l'oreille de la demoiselle : elle se retourna vivement et eut tout juste le temps d'apercevoir une silhouette foncer droit vers l'étang. Peut-être cette personne pourrait-elle l'aider !

       Cependant, la présence avait disparu en même temps que le son de sa course. Sol se rapprocha de l'eau, intriguée, et en fit le tour. Personne. Elle se redressa et tourna sur elle même en scrutant la végétation. Enfin ! Cette personne ne s'était tout de même pas évaporée entre deux palmiers ! Où avait-elle bien pu se faufiler ?

       Ce fut un souffle provenant d'un buisson qui la mit sur la voie. Elle s'approcha lentement de la source du bruit et écarta les branches de la plante d'un coup sec : l'un des enfants que la jeune femme avait croisé un peu plus tôt s'y était caché, recroquevillé au milieux des mauvaises herbes. Il eut un mouvement d'effroi lorsqu'il la vit puis, ne constatant que ce n'était qu'elle, posa un doigt tremblant devant sa bouche, les yeux brillants de larmes et de terreur.

       Sol sursauta de surprise. Maintenant plus inquiète que curieuse, elle couva le garçon d'un regard interrogateur et se retourna pour observer l'entrée de l'oasis.

       Puis, plus rien.

L'épopée de SolOù les histoires vivent. Découvrez maintenant