Chapitre 18

53 13 50
                                    

« Ah, Okthem... Royaume du Vent, des penseurs, des artistes, de la liberté de vivre et de s'exprimer... Mais aussi Terre des astronomes et des artisans de renommée. Là-bas, tout n'est qu'harmonie : tout le monde vie de paix et d'amour, chérissant la mixité comme un cadeau quotidien - sauf les brigands. Ce beau peuple ne considère rien d'autre que le partage, la liberté et le bonheur, vivant comme une seule et même famille préparée à toutes les épreuves de la vie - sauf les brigands. Chacun sait régler ses propres problèmes, toujours avec l'aide de ses proches et de grandes discutions plus ou moins animées avec le fauteur de trouble, réduisant le rôle de l'armée à la seule surveillance des routes - et des brigands. Et, malgré ce joyeux bazar qu'est le Royaume d'Okthem, la beauté sensorielle et spirituelle de ces Terres changent à jamais l'âme voyageurs qui la parcourent... »

****

       Maazul attrapa la bouteille à deux mains et porta le goulot à ses lèvres. Son contenu se vida à une vitesse astronomique sous le regard médusé de l'assistance, bloquée sur le visage crispé du grand gaillard : il se pencha en arrière pour boire les dernières gouttes d'alcool qui s'accrochaient au récipient et le posa brutalement sur la table en soupirant de satisfaction. Il y eut un court silence d'admiration avant que les verres ne se lèvent tout autour de la table, envolés par une salve de hourras et de cris glorifiants. Win lâcha un petit rire éméché, à moitié couché sur la table pendant que Maazul, complètement ivre, rugissait un rire presque malfaisant. Même Eyomi, essayant tant bien que mal de convaincre son camarade de se calmer, avait cédé à l'alcool, et termina sa phrase dans un mémorable « Et merde... » qui fit s'esclaffer une bonne partie de la tablée.

       Et au milieux de tout ce beau monde, il y avait Sol.

       Elle n'avait jamais bu la moindre goutte d'alcool de sa vie et n'était pas prête de le faire. De toute façon, elle n'avait pas le cœur à boire. Les trois autres, eux, avaient de quoi festoyer et se laisser aller : plus de Nohka, plus d'amis meurtriers, plus de fuite... Le début d'une nouvelle vie. Mais Sol, qu'avait-elle à fêter ? Rien. Elle était devenue une fugitive et ne pourrait jamais revoir sa planète adorée. Ce genre de choses ne se fêtaient pas. Elles se déploraient. Et voir tous ces gens s'amuser ne l'aidait pas à voir le bon côté des choses, même si le bonheur de pouvoir repartir à zéro loin de toute cette discorde aurait du la toucher aussi. S'en était trop pour la jeune femme. Elle profita de l'état pathétique de ses compagnons pour se glisser en dehors de l'auberge et s'en éloigner, blottie dans les confortables vêtements traditionnels que Darïu avait laissé parmi leurs affaires.

       En parlant de charrette... Sol aurait bien aimé aller y trouver le calme et le confort, mais le trio avait décidé de troquer véhicule et daims cornus contre quatre montures autochtones plus à l'aise dans le sable et le climat du désert : des orisahbs. Les pires erreurs de la création. Une espèce de tête de daim cornu, au museau plus court, plus pointu et plus boursouflé que les créatures de Vaellia, montée sur un long cou à l'imposant corps de volatile, le tout doté de courtes pattes trapues et d'un plumage variant entre les teintes pourpre et violet sombre. Mais le pire restait qu'ils étaient incroyablement intelligents : ils passaient leur temps à juger leur cavalier et à souffler de dédain à chaque fois que leur cavalier faisait une remarque, pour ne pas tout simplement faire une accélération surprise lorsqu'ils jugeaient le pauvre voyageur qui les montait trop ennuyeux. Lorsque Sol passa devant les écuries, sa propre monture ne trouva rien de mieux à faire que de la suivre du regard et de souffler d'un air suprêmement méprisant, comme pour se moquer de sa morosité et de son sentiment d'impuissance.

— La ferme, Migüel.

       Au moins avait-il parfaitement retenu son nom : il dilata ses narines poilues et tourna la tête avec dignité, profondément vexé. La jeune femme passa son chemin et alla s'asseoir sur le premier banc en pierre qu'elle trouva, bordant la place centrale du petit village dans lequel ils se trouvaient. Heureusement que le groupe ne s'était pas arrêté dans la ville qui bordait le Portail... Sol n'aurait jamais pu trouver un endroit où rester seule. Hors, elle en avait terriblement besoin.

L'épopée de SolOù les histoires vivent. Découvrez maintenant