Chapitre 25

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« Amahdïn n'est pas la région la plus célèbre d'Okthem mais c'est là-bas que l'on retrouve les plus vieilles familles d'artisans de la planète. Terre de nomades il y a de cela des milliers de cycles, grand nombre de ces autochtones ont fini par prendre racine et se lancer dans le commerce : menuisiers, bijoutiers, tisseurs, forgerons et artisans de la pierre, chaque famille native de la région possède sa propre spécialité. On retient cependant la grande popularité des travailleurs du cuir et des ouvriers du bâtiments, exerçant les métiers les plus anciens d'Amahdïn : quelques-unes de leurs ruines persistent encore au creux des dunes, témoins d'un savoir-faire sans âge. »

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       Quelques keps tintèrent dans la paume de Win.

— Prends toutes les vivres que tu peux avec cet argent, lui ordonna Eyomi. Et je compte sur toi pour faire des affaires, je ne veux pas gaspiller.

       Le hors la loi hocha la tête et disparut en direction du village. Maazul devint alors la nouvelle victime de la guerrière qui reprit sur un ton tout aussi sévère :

— Toi, tu vas remplir les gourdes au puis externe du village. Et toi, ajouta-t-elle à l'intention du Passeur, tu l'accompagnes.

       Les deux intéressés froncèrent les sourcils.

— Pourquoi ? s'interrogèrent-ils en cœur.

       C'était vrai, ça : pourquoi iraient-ils tous les deux remplir une seule et unique tâche ? Et pourquoi ce n'était pas Eyomi qui irait ? Elle qui aimait tant râler, le faire dans un cadre calme et reculé aurait du lui plaire, non ?

— Parce que je compte sur toi, la Mahonienne, pour surveiller que Maazul ne fasse pas de bêtises. Et toi, Maazul, essaye de faire en sorte qu'elle ne se fasse pas enlever. Compris ?

       Sol répondit à ce ton mi-moqueur, mi-méprisant, d'un regard teinté de noirceur. Le grand gaillard attrapa les gourdes que l'autre lui tendait en grommelant.

— Et le premier qui se plaint, je l'empale, promit Yo en retournant s'occuper des orisahbs.

       Les deux intéressés tournèrent les talons et partirent vers le puis, quelque peu vexés par le manque de confiance dont faisait preuve leur camarade de route. Comme si Sol allait encore se faire enlever ! Yo insinuait-elle que la jeune femme était incapable de se débrouiller seule ? Quelle insulte ! Elle s'était échappée deux fois des camps révolutionnaires tout en restant pacifiste ! Et Maazul : il était plutôt tête en l'air, certes, mais de là à le surveiller comme un enfant ! Ce que la Lame pouvait se montrer désobligeante ! C'était insupportable !

       L'aube s'était levée depuis deux bonnes heures et les premiers assoiffés venaient faire leur réserve au puis : Sol et Maazul durent laisser passer une vielle dame et deux enfants quelques peu turbulents avant d'accéder à la réserve, rendus muets par la contrariété et la fatigue accumulée pendant la nuit. Ils se passaient les gourdes d'un geste mécanique lorsqu'un homme en guenilles vint attendre son tour, un bol à la main, avant que Maazul ne lui cède quelques minutes pour remplir son récipient : l'homme gratifia le criminel d'un merci et de mille courbettes avant d'aller rejoindre le groupe de voyageurs qui semblait être le sien, soit une bonne dizaine d'hommes à l'allure miteuse et aux vêtements plus qu'usés. Sol les observait distraitement lorsqu'un soldat vint leur donner – ou plutôt jeter – un morceau de pain à chacun, sans doute de la même manière qu'il l'aurait fait avec des animaux.

       La jeune femme fronça les sourcils et interpella son camarade.

— Maazul ? Qu'est-ce qu'il se passe, là-bas ?

       Le bonhomme leva les yeux vers la scène et répondit, bien que fatigué, aussi jovialement qu'à son habitude :

— Oh, ça ? Ce sont des esclaves ! Et à en croire leurs épaules, ils travaillent au moins dans le bâtiment !

Des esclaves ? répéta Sol, incrédule. Mais c'est illégal ! L'Alliance a interdit ce trafic il y a plus de neuf-cents ans !

       Maazul la dévisagea un court instant, comme si la plus improbable des déclarations venait de sortir de sa bouche, avant d'éclater de rire.

— Quoi ? s'échauffa la demoiselle. Il n'y a rien de drôle à enfreindre les lois et à priver quelqu'un de sa liberté de cette manière ! C'est très grave !

       L'homme rit de plus belle, le visage virant au rouge sous l'intensité de son fou-rire. Sol en restant coite et bête, ne sachant comment réagir.

— Oh, non de non ! Tu n'es pas une Mahonienne pour rien, toi ! s'esclaffa-t-il à demi-voix, la larme à l'œil. Il n'y a que vous pour penser ça ! Ah... Par les Dieux... Tu m'a refais ma journée, ma belle !

— Comment ça, penser ça ? l'invectiva son interlocutrice. Qu'est-ce que vous voulez dire ?

       Le géant essuya la perle salée qui s'attardait au coin de sa paupière mais ne pût se départir de son air hilare. La Mahonienne serra les dents mais attendit sa réponse.

— Ce que je veux dire,  c'est que vous êtes tellement innocents... Et terriblement drôles ! Roh... Il faut que je m'arrête ! La désillusion n'a rien d'agréable pour la personne concernée !

       Il se frappa la main et attrapa une nouvelle gourde qu'il fit mine de remplir. Sol le fixait de ses grands yeux d'ambre, ne sachant si elle devait être furieuse ou déconcertée, le regard s'attardant de temps à autre sur le groupe d'esclaves : les soldats étaient en train de les encercler et les sommaient de se redresser, visiblement pressés.

— Du nerf ! cria l'un d'entre eux. Je vous promets que si on n'atteint pas Kael d'ici demain soir, je vous fait frire l'entrejambe ! Dépêchez-vous !

       À cette annonce, Maazul haussa un sourcils, puis écarquilla ses yeux bleutés avant de les tourner vers sa camarade.

— On atteint pas Kael en deux jours de voyage, non ?

— Ce n'est pas le sujet ! s'emporta Sol. On parle d'esclavage, là !

— Dans ce cas, cela veut dire qu'ils vont prendre un Portail ! En direction de Kael ! C'est parfait !

       Le criminel laissa tomber sa gourde et repartit voir Eyomi en courant, suivit par une jeune demoiselle encombrée de rage et de larges outres remplies. Maazul sautillait devant sa camarade lorsque Sol les rejoignit enfin, dégoulinante de sueur et d'agacement, avec quelques secondes d'avance sur Win. Ce dernier observa la scène avec autant de perplexité que Yo puis écouta son compagnon de route annoncer la bonne nouvelle :

— On a de quoi gagner du temps, les amis ! Si nous suivons la cargaison d'esclaves qui a fait halte au village, nous serons à Kael en deux jours !

— Un Portail ? traduisit Eyomi. Un créneau menant à Kael disponible juste quand on passe par là, donc ? Tu es sûr que ce n'est pas un convoi exclusivement militaire ou royal ?

— Sûr et certain. La royauté ne s'embêtera jamais à privatiser un voyage juste pour quelques esclaves. Je peux te certifier que nous avons bien un raccourci vers Kael !

       Maazul leva un doigt victorieux puis reprit :

— Et qui dit voyage au sein d'un même Royaume dit gratuité pour tout le monde ! Pas la peine de feinter un droit de passage ! On passe comme on veut ! Alors si j'étais vous je me dépêcherai de grimper sur mon orisahb et de suivre les esclaves !

       Tout le monde acquiesça et grimpa sur sa monture. Maazul partit en premier, au galop bien entendu, suivit par Eyomi et Sol, un peu en retrait, qui surveillait le départ de Win : le criminel se dépêchait de ranger les vivres qu'il venait d'acheter et de les attacher à son animal de voyage. Ce n'était peut-être que son imagination mais le demoiselle crut même le voir dissimuler un objet délicatement empaqueté derrière son plus gros sac de selle...

       Soit la jeune femme avait sérieusement besoin de repos, soit les choses prenaient une tournure de plus en plus inconfortable.

L'épopée de SolOù les histoires vivent. Découvrez maintenant