La jungle, naufragé, c'est beau, mais pas comme Daenerys Targaryen. L'image d'une prostituée élégante rongée par la syphilis correspondrait bien mieux. J'écarte une feuille de bananier pour apercevoir aussitôt un puits sombre infesté de fils de pute tout en crochets venimeux et yeux globuleux. Le grand luxe ! Je m'empresse de remettre la nature dans l'ordre où je l'ai trouvé.
Notre première destination est le village perché de Cing'lé, un haut lieu de la civilisation. Non, je déconne. Il n'y a pas pire bouge.
Le premier clochard venu te plante et souvent il n'est même pas foutu de faire le boulot correctement. Il te laisse crever d'une infection avec son surin ramassé dans les chiottes en guise de dernier confident. Bref, on a hâte d'y être !
Je commence à sentir le manque de mon mélange favori ; scopolamine et kétamine. Mes yeux injectés de sang le confirment. Cette cure de désintoxication s'annonce compliquée...
Nous émergeons de la jungle devant un bidonville qui s'étale en hauteur dans une tentative grotesque de communion avec le ciel. Une palissade pourrie à la bière et à la pisse décourage tout assaut sur le village. Un garde se dresse devant une porte à moitié arrachée de ses gonds. Pardon, je reformule. Un vieillard sénile qui triture sa sarbacane comme si sa vie en dépendait se dresse devant une parodie de porte à moitié arrachée de ses gonds. C'est mieux.
Je lui propose quelques pièces, mais il refuse. Je darde alors un long regard sur toi, naufragé, le genre de regard qui signifie que le don de soi, de ton corps, va être inévitable. Cependant, c'est sans compter sur la vivacité du vieux qui aperçoit, sortant de ma besace, le baiser du rasoir de Daniel Polansky. J'hésite, puis finis pas céder et sors l'ouvrage à la lumière déclinante de cette fin de journée. Je me demande bien ce qu'il compte en faire ? Je prie pour que ce ne soit rien d'ordre sexuel et lui passe le livre en m'engouffrant dans les entrailles de Cing'lé.
Il s'y dégage quelque chose de malsain. Ce n'est pas tant les passerelles suspendues, branlantes et mal entretenues, ou les bordels perchés dans les arbres aux relents de mort qui me foutent le malaise, mais plutôt le regard des habitants.
Ces tarés n'arrêtent pas de sourire avec leurs yeux pétillants comme s'ils pouvaient décemment être contents de vivre ici. Il en faut peu pour être heureux, mais une des conditions non négociables reste le fait de ne pas habiter ce bouge. Tu me demandes innocemment s'ils ne se contentent tout simplement pas de vivre dans l'instant présent.
Alors tu vas très vite te calmer avec tes délires de bouddhiste, parce que la seule chose que ces gens apprécient ce sont le meurtre de sang froid et la rapine. Je te le dis, naufragé, si je n'avais pas une très bonne raison de venir ici, on serait resté dormir dans la jungle avec les serpents et les mygales.
Nous empruntons une venelle aux murs tapissés d'urine et au sol spongieux. Tu te plains, mais je m'en bats les couilles. Je dois voir l'Oracle.
Une petite porte au fond donne sur un escalier en colimaçon. Les marches disparaissent dans l'ombre. Après une ascension aussi courte qu'éreintante, nous entrons dans le salon de l'Oracle Av'eugle.
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L'expédition Roselune - Les aventures de l'Explographe
HumorSalut à toi, naufragé ! Ici l'Explographe. Mon navire s'est échoué sur une île maudite qu'on appelle Aencre, il y a de cela bien longtemps. Avant d'être prisonnier des jungles et de leurs trésors, je parcourais les mers du monde comme Scribe-Oeil po...