L'horloge du bureau affiche déjà 21H36.
Qu'est ce que je fous encore ici, dans ce bureau sans fenêtre, à classer des dossiers, un samedi soir à 21H36 ? Je pourrais pas sortir, comme toutes les filles de 24 ans ?
Encore trois dossiers et je pourrai rentrer.
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Enfin terminé ... Aller, prendre mes affaires, sortir d'ici et enfin rentrer à la maison.
Dans un quart d'heure j'y serais et je pourrais manger, dormir, me détendre et libérer mon esprit de tous ces chiffres et de tous ces noms et de tous les plans foireux de cette boîte .
Lorsque je monte dans l'ascenseur, je me dis qu'il est vraiment temps que je rentre. J'ai l'impression que ma tête va exploser. La lumière des néons m'aveugle et tout autour de moi réfléchit cette lueur, tout ici se ressemble, les bureaux, les couloirs, tout est carré et blanc, tout est silencieux, personne ne parle, c'est comme si personne ne parlait jamais ici. Cette boîte fait de n'importe qui qui y entre un robot.
En passant devant le vigile, je lui adresse un sourire pour l'encourager et lui souhaite une bonne soirée. Il ne répond pas. Lui non plus n'aime pas son travail. Ça se voit sur son visage. Il ne fait que regarder les gens passer, sans dire « Bonjour », sans dire « Au revoir », sans même hocher la tête, comme un robot.
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Enfin à la maison ... Trempée, dégoulinante et toute collante, j'ai un peu l'impression d'être un chien mouillé mais à la maison quand même.
Je jette mon sac sur le fauteuil, enlève ces putains de talons qui me font souffrir et vais directement dans la cuisine pour mettre la bouilloire en route. L'eau commence à bouillir et le son que cela produit me calme étrangement. Pendant que cette bruyante mélodie ampli l'appartement, je me dirige vers la salle de bain, délaisse mon chemisier blanc et mon pantalon taille haute trempés pour l'eau chaude et apaisante de la douche. Je laisse l'eau me réchauffer, recouvrir le froid de la pluie et emporter avec elle, dans les canalisations, tous ces chiffres, tous ces noms et tous les plans foireux de la journée qui me tenaillaient encore la tête une demie heure plus tôt.
Puis j'enfile un short et un gros pull confortable, je mets un peu d'eau bouillante sur les nouilles chinoises, une assiette par dessus le bol pour que la chaleur ne s'échappe pas, j'attrape la télécommande, une paire de baguettes et la soirée peut démarrer ...
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Je me demande toujours pourquoi la vie ne se passe jamais, au grand jamais, comme dans les films ?
C'est vrai, dans les films, les gens quittent tout et tout va bien, dans les films, les happy end arrivent toujours et l'amour est toujours au rendez-vous. Dans les films, la pluie rend tout sexy et bouleverse les vies mais quand je vois la pluie qui recouvre Paris ce soir, j'ai du mal à croire qu'une belle histoire se passe grâce à elle en ce moment.
Parfois, moi aussi j'aimerais être dans un film et faire des choses folles. J'aimerais découvrir un passage secret conduisant à un monde mystérieux, caché au fond d'une armoire, y rencontrer un faune et chevaucher un lion ... ou ... apprendre la salsa, prendre l'avion pour le bout du monde sur un coup de tête, escalader l'Everest et nager avec des requins ... ou tout simplement me laisser guider par un homme toute une soirée, danser sur Dirty Dancing dans un restaurant désert, lui révéler mon plus grand secret dans une voiture sous la pluie et le voir me regarder avec une tête de con comme si j'étais la plus belle création du monde ... puis quitter toute ma vie, tous mes projets, tout abandonner en sachant que tout ira bien malgré tout.
Malheureusement, la vie ne se passe jamais comme dans les films et tout ne va pas toujours bien alors ça fait peur.
Mais ça n'empêche de tenter sa chance.
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Parlez-moi de la pluie
General FictionOn dit de certaines choses qu'elles sont "ennuyeuses comme la pluie" ... Et si, pour une fois, c'était elle qui pimentait notre vie ?