La première chose que je fais en me réveillant le matin, c'est toujours regarder l'heure : c'est une habitude que j'ai depuis toujours.
Aujourd'hui, il était 11h43 quand j'ai ouvert les yeux. Presque midi.
Je me rappelle encore que Maman disait que se lever à midi c'était perdre la moitié de la journée et ne pas profiter de la vie. J'étais petit encore, 7 ans à peu près, quand j'avais compris ça et j'avais commencé à me lever tôt tous les jours pour lui faire plaisir et passer du temps avec elle, je savais que le soir elle serait fatiguée et qu'elle irait se coucher tôt.
Je me rappelle aussi qu'un dimanche matin, je m'étais levé encore plus tôt que d'habitude. J'avais descendu les escaliers tout doucement, j'avais marché jusqu'à la cuisine sur la pointe des pieds et j'avais préparé le petit-déjeuner en faisant aussi peu de bruit que possible. Tout était prêt pour l'heure à laquelle elle se levait normalement. J'avais compté combien de temps il me fallait avant son réveil, dans ma chambre la veille au soir et j'avais programmé mon réveil pour qu'il sonne plus tôt pour être sûr que tout soit parfait. Je voulais que Maman passe un bon anniversaire et qu'elle profite du jour et du soleil au maximum. Elle aimait tellement le soleil.
Mon plan avait marché mais elle ne s'était pas réveillée. J'avais tout préparé, je m'étais assis à table, devant les toasts, les verres de jus d'oranges et le beurre, prêt à crier "Joyeux anniversaire !" quand elle descendrait, et je l'avais attendue. J'avais regardé les aiguilles de l'horloge faire le tour du cadran au moins deux fois, avant que Mamie et Papi arrivent.
Le soir même je ne dormais pas dans mon lit, le jour d'après je voyais Maman à l'hôpital et environ 3 mois plus tard, je pleurais à son enterrement.
Après ça, j'ai arrêté de me lever tôt tous les jours, j'aimais moins le soleil et mes grands parents me laissaient faire. J'étais leur "petit prince" ... Ils ne me laissaient pas tout faire bien sûr mais les premiers mois, ni eux ni moi ne voulions nous lever.
Je le comprends maintenant, avant je ne le comprenais pas, j'étais trop petit.
Pour eux, c'était sans doute de la fatigue, m'élever ne devait pas être de tout repos, mais pour moi, attendre dans mon lit, attendre que quelqu'un vienne me sortir du lit, c'était attendre qu'elle vienne me sortir du lit. Mais elle ne venait pas, elle n'est jamais revenue. C'est alors que le soleil est devenu de moins en moins supportable. Ma maman, c'était tout ce que j'avais, il me faisait penser à elle et ça me rendait triste. Je n'avais pas beaucoup de copains mais j'avais ma Maman, c'était elle mon soleil.
En grandissant, j'ai délaissé le soleil pour épouser la nuit, son côté sombre et mystérieux, son côté dangereux, son côté sauvage. Je l'ai apprivoisée et je l'ai entretenue, je nourris la nuit tous les soirs en prenant part à sa vie, en animant les fêtards pour que rien ne s'endorme vraiment.
J'ai délaissé le jour pour épouser la nuit mais la première chose que je fais en me réveillant, c'est toujours regarder l'heure.
Aujourd'hui, il était 11h43 quand j'ai ouvert les yeux et Louise n'était plus là.
Louise, qui dormait hier soir quand je suis rentrée, Louise qui ne sort presque jamais et passe des heures entières dans le lit le week-end, elle n'était plus là ce matin. Elle n'était ni dans le lit, ni dans l'appartement. Elle n'y est toujours pas. Elle n'a rien laissé, pas un mot, pas un message, rien du tout, elle est juste partie. Il est bientôt 17h. Ça fait presque 5 heures que je l'attends. Je l'attends, je pense, je m'inquiète, je pense beaucoup quand je m'inquiète, je pense à tout, je me demande où elle est, je me demande avec qui elle est et ce qu'elle fait, je m'inquiète.
Je l'attends et au fond de mon cœur je prie aussi. Je prie pour qu'on me laisse la protéger, pour qu'on ne m'enlève pas Louise ... Lou... mon deuxième soleil ...
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Parlez-moi de la pluie
General FictionOn dit de certaines choses qu'elles sont "ennuyeuses comme la pluie" ... Et si, pour une fois, c'était elle qui pimentait notre vie ?