L'appart' semble vide sans lui. D'habitude ça n'a pas l'air si vide, même quand je suis seule.
Je suis souvent seule, je ne sors plus trop depuis quelques mois, depuis que j'ai "emménagé" chez Adam ... Ça me va d'être seule, je me sens bien quand je suis seule, je ne sens aucun regard qui me scrute et me juge, qui me transmet une image de moi qui me répugne, l'image de moi que je donnais avant ... Mais ce soir je suis seule et je me sens seule et je voudrais qu'un regard bienveillant se pose sur moi, un regard qui refléterait celle que je peux devenir et pas celle que j'étais, le regard d'Adam ...
Il a de très beaux yeux en plus : bruns avec de longs cils. On dirait des yeux d'enfants, remplis d'innocence et de bonté, qui s'émerveillent de tout ... et profonds aussi, on tombe dedans et on s'y perd, comme on se perdrait dans un labyrinthe : il y a tellement de choses dans ses yeux.
J'aime ses yeux. J'aime son regard. J'aime son regard et je me souviendrais toujours de son regard parce que c'est lui qui m'a sauvé. S'il ne m'avait pas regardé au bar ce soir là, s'il m'avait servi comme il sert tout le monde, sans faire plus attention que cela, s'il avait gardé les yeux sur le verre qu'il me tendait, au lieu de me regarder dans les yeux, je continuerais peut-être à gâcher ma vie, à me foutre en l'air, à ...
Mes souvenirs et la température de la pièce me font sortir de mes pensées : j'ai froid. J'attrape le plaid gris qui est sur le bord du canapé et enroule mes jambes dedans en ramenant mes genoux vers moi pour me réchauffer. Je fixe la télé et me laisse bercer par les images qu'elle met devant mes yeux.
La fatigue me gagne, je sens mes paupières tomber et je n'ai pas la force de marcher jusqu'au lit, je m'étend sur le divan et prend un coussin en guise d'oreiller.
*
* *
Tout est flou. Tout se mélange et tourne toujours.
Les gens, les lumières, les rires, les flashs, tout est familier et tout est différent. Tout est envoutant et tout est oppressant.
Les rires des autres mannequins, les sourires heureux sous l'effet de la coc ...
Rien n'est grave, tout est drôle, tout est bien.
Je suis heureuse et j'ai peur : je suis heureuse parce que j'aimais ces moments, ceux où plus rien n'était grave, ceux où tout était bien, ceux où rien de mal ne pouvait arriver, ceux où la drogue me libérait ... mais j'ai peur parce que je sais ce qui va se passer, je sais ce qui va arriver, je connais la suite par cœur et je ne fais rien pour l'empêcher, je ne peux rien faire pour l'empêcher ...
Je danse. La pièce tourne. La fumée est partout. Les gens rient très fort. La musique tambourine dans ma tête. Tout va plus vite autour de moi. Le temps n'a plus de sens. Clope, beuh et coc s'associent. La soirée se poursuit. Je danse encore. Val arrive.
Val est là. Face à moi. Et d'un coup. Le temps s'arrête.
Il me regarde. Je le regarde. La honte m'envahit ... En fait non. Pas du tout.
La honte ne m'envahit pas. Je le regarde. Je le regarde un moment, et puis je recommence à rire. Je recommence à danser. Je suis heureuse. Je ne veux pas partir. Lui veut m'emmener.
Je danse autour de lui. Je lui dis que je l'aime. Et je l'aime vraiment. Mais je le met en danger. Je le sais maintenant. Si seulement je l'avais su à ce moment.
Il ne veut plus m'emmener. Il cède : il aurait tout fait pour me faire plaisir. Rester là me faisait plaisir. Alors il reste avec moi, il danse avec moi, il fume avec moi.
La soirée se poursuit. Une, deux, trois heures passent. On finit par partir. Pour le coup je préfèrerais rester plutôt que de revivre ça.
On ne va pas loin, on n'habite qu'à 15 minutes à pieds, on pourrait marcher. Mais on prends le scoot.
On monte, on démarre, on roule, on tourne, on grille un feu, on est percuté, on tombe, je me réveille à l'hôpital.
Je me réveille et me redresse brutalement, le souffle court ... Je me réveille, mais pas à l'hôpital, je suis sur le canapé, dans le salon, chez Adam ... Encore ce rêve ... Encore et toujours ce rêve...
Je me lève et marche vers la chambre avec le plaid sur les épaules, je m'allonge sur le lit et tente de me rendormir.
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Parlez-moi de la pluie
General FictionOn dit de certaines choses qu'elles sont "ennuyeuses comme la pluie" ... Et si, pour une fois, c'était elle qui pimentait notre vie ?