Existences - Tome I : La traque des Rémors

14 : Une vie qui va changer

« Vous ne savez décidément pas rester calme une minute. J'ai vu votre cercle, heureusement que nous étions seuls... Je ne sais quelles passions vous animent, mon garçon, mais elles semblent bien trop vous perturber. Toutefois, j'ai cru voir autre chose... fit-il plus mystérieusement. Approchez, approchez donc !

— Il y a un problème ? s'inquiéta davantage Cayn en se rapprochant de Thimoléon.

— Par les Vingt-cinq, quelle est donc encore cette sorcellerie ?

— Quoi ? Qu'est-ce que j'ai ? demanda Cayn en constatant avec appréhension que Thimoléon fixait ses yeux.

— Et bien, on dirait que vous avez commencé à avoir votre deuxième cercle, mais pas entièrement. Il semble qu'il n'y en ait que quelques fragments... Non, attendez... ils ne sont pas alignés, ce sont deux parties de deux cercles différents, ajouta Thimoléon en dessinant dans l'air des cercles dangereusement près de l'œil de Cayn. C'est comme si vous aviez eu des remémorations incomplètes...

— Ah oui ! Avant que je ne fige la foule, j'ai eu comme une absence, ou une transe... J'ai eu des hallucinations. Je n'étais plus dans la rue, mais je me suis vu... ailleurs...

— Et cet ailleurs aurait-il un rapport avec des lynchages publiques, par hasard ? Hum, je vois... hocha de la tête Thimoléon à l'acquiescement silencieux de Cayn. Je ne crois pas que ce soient juste des hallucinations, comme en attestent ces parties de cercles dans vos yeux. Non, je pencherais plutôt sur des fragments de remémoration. Alors... si l'on récapitule, vous auriez, dans le feu de l'action, eu accès à des souvenirs d'anciennes existences, semblables à la scène qui se jouait devant vous. Pour preuve, vos cercles ont commencé à apparaître. Mais vous n'en avez eu que ces souvenirs précis, sans avoir accès à l'entièreté de l'existence ?

— Oui. J'ai juste eu la chance de revivre deux lynchages, ironisa Cayn. L'un où j'étais écartelé, l'autre où je brûlais sur le bûcher... C'est étrange ?

— Et bien dans l'optique où cela n'était encore jamais arrivé avant, ou du moins pas à ma connaissance, oui, c'est étrange, lui confirma Thimoléon en griffonnant quelques notes dans son carnet qu'il avait dégainé plus vite que son ombre. Je n'avais même jamais songé qu'une remémoration puisse s'opérer de manière ponctuelle et spontanée tout en étant éveillé. Décidément, vous avez un pâl très intéressant, mon garçon... »

Les deux hommes n'eurent pas le temps de disserter plus longtemps car un bruit sourd les fit sursauter. La jeune femme venait de tomber de sa couchette. Devant un Thimoléon et un Cayn ébahis, elle se releva en grommelant, se hissa de nouveau sur le bat-flanc et s'enroula dans la couverture. 

Ce ne fut qu'au bout de quelques longues secondes, durant lesquelles les deux hommes restèrent muets de stupéfaction, que Kyarina se redressa brusquement pour aller se réfugier dans le coin de sa cabine, tous draps dressés :

« Qui êtes-vous ? Où sommes-nous ? C'est quoi ce bordel ?!

— Ne vous en faites pas, vous êtes en sécurité, s'empressa de lui répondre Thimoléon de son ton le plus rassurant. Nous ne sommes plus à Abiesbourg, plus personne ne vous fera de mal. Nous avons pris un bateau et nous vous éloignons le plus possible de cet endroit.

— Oui, personne ne nous a vus partir, ils ne devraient pas nous poursuivre, ajouta Cayn avec un petit sourire bienveillant.

— Mais... c'est ici que j'habitais moi ! Où vais-je aller maintenant ?

— Tout ce que je sais, c'est que vous ne devriez plus retourner à Abiesbourg. Plus jamais. C'est une chance que mon jeune ami n'ait pas pu rester insensible à votre détresse et qu'il ait su... convaincre la foule qui voulait vous lyncher d'arrêter leur folie, argua Thimoléon. Voyez cela comme un acte désintéressé et bienfaiteur d'un étranger naïf révolté par un acte de violence.