Jour 17, 12h15, dans ma cellule

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- Eh ben. Il a un faible pour les rousses, c'te mauviette.

Tout comme hier, mon geôlier vient jouer avec ma rage. C'est devenu, ma foi, une véritable addiction de sa part. Il ne se lasse pas d'entendre mes soupirs exaspérés et de voir mon expression que je suppose être irritée. Et comme d'habitude, tout ce qu'il dit après à propos de mon sauveur se révèle être véridique. Entre la fille du ranch, les Gerudos et cette fille aux cocottes du village Cocorico, il est vrai que Link ne fréquente que des femmes rousses.

- Par contre, on peut dire qu'il n'aime pas les blondes, vu le temps qu'il met pour venir te sauver, princesse ! rajoute Ganondorf, se croyant drôle.

J'aimerais qu'il arrête de plaisanter à ce sujet. Au bout d'un moment, ça devient agaçant. Et puis, j'attends mieux qu'un humour trivial de la part du « Seigneur des Ténèbres »...

Des fois, je me demande si Ganondorf a toujours été comme ça. Si oui, je comprends mieux à présent pourquoi il n'a aucune famille et aucun ami : tout son entourage a dû se lasser de ce vieillard grincheux maniaque de la décoration d'intérieure à l'humour peu efficace.

Tout comme je commence à me lasser de Link...

Ganondorf me fait parfois des résumés de ce que je manque sur les palpitantes aventures de mon « héros » depuis que je suis enfermée. C'est ce qu'il a fait tout à l'heure avant de revenir à l'attaque avec son humour pénible.
Selon lui, Link serait trop occupé à rendre service à des inconnus croisés dans un coin de rue pour penser à sauver un royaume...

Apparemment, tout est parti de cette fille rousse aux cocottes. Elle aurait demandé à Link de s'occuper d'un poulet bleu, et l'idiot aurait accepté. Il serait maintenant en train de courir de partout en Hyrule, en se faisant refiler des tas d'objets plus inutiles les uns que les autres. D'après le résumé que j'ai eu, il doit apporter des champignons que lui a donnés un homme perdu dans la forêt à un vieux savant pour faire un médicament. Ou des gouttes pour les yeux ?

Je soupire. Je ne comprends vraiment plus.

Visiblement Ganondorf rit de Link à chaque fois que ce dernier s'énerve contre Epona, sa jument, car elle ne va pas assez vite. Moi, cela ne me fait pas rire. Si c'est véridique, alors je trouve que ce « héros » mérite des baffes. Cette jument n'est pas la sienne – je le sais, je n'étais pas encore cantonnée dans cette pièce quand Link l'a obtenue – et va de plus vite qu'elle le peut, mais il trouve encore le moyen de la disputer. Je ne comprends pas pourquoi cette fermière à accepter qu'il parte avec, sans compter que c'était sa jument préférée ! Je parie que Link s'est encore servi du fait qu'il soit plutôt beau gosse pour l'obtenir.

Pfff ! C'est immoral !


15h23, toujours dans ma cellule

A force d'entendre Ganondorf plaisanter sur la relation que j'ai avec Link, je commence à douter de mes sentiments. Je commence aussi à me poser des questions sur mon intégrité mentale. Suis-je vraiment normale ? Quand je vois toutes ces filles tomber sous le charme de Link, je ne peux m'empêcher de me le demander. Toutes les jeunes femmes de mon âge semblent folles de lui. Sauf moi. Je devrais peut-être l'être aussi, non ?
Seulement, quand je le vois, je ne vois pas un jeune homme charmant dont le beau sourire me rendrait éperdument éprise de lui. Moi, quand je le regarde, je vois le destin de mon royaume. C'est tout ce qui compte pour l'instant. Alors peut-être que si je suis amoureuse de lui, je ne l'ai pas encore remarqué, du fait que je me préoccupe sans arrêt d'Hyrule. Ou peut-être que je ne suis juste pas apte à reconnaitre ce sentiment... ?

Je n'ai jamais connu l'amour. Ni l'amitié d'ailleurs. Durant mon enfance ma condition, mon rang social et mes responsabilités m'ont tenue à l'écart de toutes relations avec des enfants, et plus tard des adolescents, de mon âge. Mon quotidien était remplie de chevaliers, de ministres et de servantes, soit d'adultes beaucoup âgés que moi qui avaient autre chose à faire que de s'amuser avec une petite princesse. Et moi aussi, j'avais autre chose à faire de toute manière. L'apprentissage d'une princesse est long et fastidieux et ne laisse pas de temps pour des jeux d'enfants. Au château pourtant, il y avait bien les enfants des chevaliers et autres sujets avec qui j'aurais pu m'amuser si j'en avais eu l'occasion. Mais de simples passages dans les couloirs suffisaient à me faire comprendre que tous me respectaient bien trop pour oser jouer avec moi. Je suppose que c'était leurs parents qui leur avaient donné une image aussi inaccessible de ma personne. Ainsi, il m'aurait été bien difficile durant ces dix-sept de rencontrer l'amour ou l'amitié.

Mais même sans avoir jamais connu l'amour, plus j'y pense, plus je me dis que Link a tout pour plaire – j'avoue même que quelques fois il m'a fait frissonner, avec son corps plutôt bien bâti. Il est beau, altruiste, courageux, fort et...

Bon sang, mais que fais-je ? Je ne vais quand même pas me forcer à tomber amoureuse de lui pour faire plaisir à Ganondorf ?! De toute manière, à part les trois qualités citées plus haut, ce soi-disant élu des déesses n'a que des défauts. Il est paresseux, profiteur, mal-élevé, suicidaire – la jeune fille du ranch lui avait bien dit de ne pas frapper les cocottes –, mal-organisé et terriblement idiot !
Sérieusement ?! Quand Navi, sa fée, lui dit qu'un ennemi est très dangereux, sa première réaction est de lui foncer dedans, comme un abruti qui se dirait « Ah ouais, c'est vrai que c'est dangereux ? ». A-t-on déjà vu plus stupide ?
De plus, il est tout simplement insupportable ! Il est le genre de type qui comprend très bien ce que vous dites, mais qui fait semblant de ne pas comprendre pour tester les limites des gens. Il fait toujours l'inverse de ce qu'on lui dit demande et a un sens des priorités nul ! Cela va fait plus de deux semaines que je l'attends pour libérer mon royaume de l'emprise de Ganondorf – que je suis obligée de supporter dans le même temps –, et lui, que fait-il ? Du cheval. Du cheval ! Je l'ai bien vu, la dernière fois avec Ganondorf, avant d'être enfermée. Il parcourait la plaine joyeusement, son arc à la main, tirant sur tout ce qui se trouvait à sa portée, spectres et oiseaux.

Avec tout ça, j'en viens vraiment à me demander s'il va m'être d'une quelconque utilité et si je ne suis pas en train de perdre mon temps ici, à écrire dans ce carnet ma frustration au lieu d'agir une nouvelle fois – même si mon premier essai n'a eu aucun effet très positif.

Alors que faire ? Ganondorf ne va plus jamais me laisser vouloir me laisser sortir. Il faut que j'endorme à nouveau sa méfiance. Je vais rester calme quelques jours de plus. Je verrai plus tard quelles sont les solutions qui s'offriront à moi. Et peut-être que d'ici là, Link se sera rendu compte qu'il y a plus important à faire que chercher des vaches dans des souterrains pour remplir des bocaux de lait. Enfin... J'en doute. On parle de Link, après tout.

Pff...

De toute façon, il n'a pas vraiment dormi sept ans. Je suis sûre qu'il avait juste la flemme de se lever.

Journal d'une princesse prisonnièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant