Nous sommes en plein mois de décembre, les températures sont négatives depuis la mi-novembre. La neige recouvre d'un immense manteau blanc les Vosges et par la même occasion nos pieds. Les convois qui arrivent par le train, ne sont plus amenés au camp par les camions.
Alors que nos pieds pourraient être au chaud, dans des chaussettes de laine qui auraient été tricotées avec amour par nos familles, au lieu de cela, nous les couvrons comme nous le pouvons de lambeaux de tissus récupérés au revier sur les corps ou de toile. Certains sont allés au revier, pour trouver un peu de chaleur et de réconfort, en sont sortis, pour certains avec des orteils de moins pour ceux qui ont le plus de chance, alors que d'autres les plus malchanceux n'ont plus qu'un bloc au bout du pied, ils n'ont plus leurs orteils.
Dans notre malheur, nous avons un peu de chance... Durant l'été, nous n'avions pas eu la chance d'obtenir de l'eau comme nous le souhaitions. Maintenant que l'automne prend fin et que l'hiver arrive, nous pouvons nous hydrater avec abondance. L'eau est certes froide et risque de nous rendre malades, mais elle est bonne.Nous sommes tous alignés, sur la place d'appel. Le dernier appel de la journée, il dure moins longtemps qu'en temps normal, ce qui est à mes yeux hors norme, surtout dans ce camp de concentration. À la fin de l'appel, les gardes nous renvoient dans nos baraques. Je croise le regard de Philippe, il est froid et remplit de colère. Ce n'est pas celui que j'ai l'habitude de voir. J'ai presque peur de lui. Il est brutal avec les autres. Un pauvre homme qui travaille avec moi n'a plus la force d'avancer, alors il le bat, encore et encore. J'aimerais tellement lui venir en aide, mais me faire battre tous les jours, à la moindre occasion... j'en ai assez. Il n'est pas le seul, que j'ai aperçu. Il y a aussi, Guerrick et Gabriel. Je les ai vu, l'un à côté de l'autre, ils rigolaient ensemble mais quand ils ont croisé mon regard leurs rires cessèrent. Un sourire s'étira sur mon visage, il était là parmi nous et non dans le bureau de Marzel comme la dernière fois que je l'ai vu. Mais ce n'est pas pour autant, qu'il fit attention à moi.
De retour dans notre baraque, il passa devant moi avec indifférence. Quelque chose en moi se brisa, mais aucune tristesse n'apparut sur mon visage. Alors je pris place sur ma paillasse, sans rien dire sans aucun regard. Les minutes passèrent lentement et sans même y prendre garde le sommeil prirent possession de moi. Le réveil de ce court sommeil fut tonitruant, la porte de la baraque s'ouvrit laissant pénétrer le froid de la nuit. Un soldat apparut dans l'encadrement de la porte, et hurla pour que tout le monde entende:
« Le commandant a eu pitié de vous ! Bande de chiens galeux ! Il m'a fait la commission de vous apprendre qu'un repas sera organisé, pour le soir de Noël ! Ce qui veut dire que vous êtes prié de vous laver pour enlever cette odeur de rat mort sur vous ! Ah oui, et il ne veut aucune absence, auquel cas vous serez tous massacré ! »
Il repart vers son bureau, comme si de rien n'était. Un repas de Noël dans ce genre d'endroit ? Ce n'est pas très courant et surtout je n'ai jamais lu que de telles choses dans les nombreux livres d'histoire que je possède. Ce repas cache quelque chose de louche. Il faut que je trouve un moyen de parler à Philippe, je veux connaître le fin mot de cette histoire, avant qu'il ne soit trop tard. À peine, a-t-il quitté la baraque à l'odeur nauséabonde, que déjà plusieurs hommes cherchent un morceau de savon qu'ils ont gardé à leur arrivée au camp. Alors que d'autres, comme Javier et moi se posions des questions : Pourquoi vouloir faire un « repas » de Noël entre les prisonniers et les gardes et le commandant ? Comment est-ce possible qu'il n'y est pas d'absents à ce repas, alors qu'il sera préparé par les prisonniers eux-même, le service à table sera aussi assuré par eux ? Et les douches, on en parle ? On a trois lavabos pour plus de mille prisonniers, comment fait-on ?
Il nous reste un peu plus de dix jours, pour trouver des réponses à nos questions, des solutions à nos problèmes. Plus de la moitié d'entre nous est malade, certains sont rongés par la gale, d'autres se vident contre leur gré quand ils n'ont pas le temps d'atteindre les toilettes. En ce qui concerne, Guerrick, il est en pleine forme comme les autres chefs de block de cet endroit, mais aussi comme les gardes et les soldats. Moi et Javier n'avons pas pu échapper au pire, nous faisons partis de ceux qui sont touchés par la dysenterie.
Je n'ose même plus m'approcher de Philippe, lors des heures de travail, j'ai tellement honte de ce qu'ils ont fait de moi. Je suis amaigri, fatiguée par la faim et la maladie, bien qu'il ramène une ration de pain, de la margarine et un morceau de viande gros comme une mandarine. Un soir, à notre retour, il a souhaité que nous parlions de Gabriel, pour qu'il me donne des nouvelles, mais à peine a-t-il commencé à prendre la parole, qu'un renvoi gorgé de sang termina sa route sur ses bottes lustrées de la veille au soir. J'aurais tellement aimé prendre mes jambes à mon cou et me cacher dans un trou de souris, au lieu de ça, je suis restée planter devant lui sans bouger. Il ne regarda même pas, dans quel état étaient ces bottes, il me tendit simplement un mouchoir blanc qui fit rapidement rouge. Il s'abaissa à ma hauteur et regarda d'un air navré :
« Je suis vraiment désolé, Nathanaëlle. Je ne suis pas à la hauteur, de la promesse que j'ai faite à Gabriel. Je lui ai promis de prendre soin de toi, quand tu serais dans mon kommando de travail, au lieu de ça, regarde-toi ! Tu es malade, tu viens de vomir du sang ! Je ne suis pas médecin, mais ce genre de chose ne présage rien de bon ! »
Je ne réponds rien, je n'acquiesce même pas à la fin de ces propos, mais je n'en pense pas moins. À mon époque, quand on a ce genre de symptômes alors que l'on est en bonne santé, c'est le signe d'une inflammation de la paroi de l'estomac ou quelquefois de quelque chose de bien plus grave. Mais là, en pleine guerre, je ne sais pas ce que cela signifie. Je ne réponds rien, mais je fonds tout de même en larmes, ici quand on est malade. On nous envoie au revier, tout le monde sait que si l'on rentre là-bas, on n'en ressort pas vivant.
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Never forget the past
Ficção Histórica"N'abandonne pas. Tu n'as pas le droit d'abandonner, tu t'es donné corps et âme pour me connaître et me sauver." Voilà une phrase bien encourageante, quand on se retrouve plonger dans une époque qui n'est pas la nôtre. Nathanaëlle, vingt-cinq ans...