De l'autre côté du rideau

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Gabriel :

Je m'installe sur ma chaise, face à mon bureau, lui même collé au mur sous la fenêtre. Avant de m'atteler à mes devoirs, je place mes stylos devant moi dans un ordre bien précis. Le rouge à gauche, puis le noir, le bleu, et enfin le vert. Une fois que tout est bien organisé, je tire sur mes rideaux pour profiter encore un peu de la lumière naturelle avant que la nuit ne tombe.

Je balais le paysage du regard. Le soleil couchant offre de magnifiques couleurs au ciel. Le panorama est magnifique ... enfin si on omet la façade blafarde de la maison d'en face. Non mais quelle idée de construire une maison en face de ma fenêtre?! C'est alors que je remarque du mouvement à la fenêtre qui fait face à la mienne.

Je vois d'abord des rideaux se tirer, un télescope émerger, puis une main caressant le métal... et enfin je l'a voit elle. Nos regards se croisent pendant une fraction de seconde avant que je ne détourne le mien et referme immédiatement mes rideaux.

C'est une blague ?! La folle! En face de chez moi ?! Elle me suit où quoi? Pourtant elle avait l'air tout aussi surprise que moi...

J'écarte mes rideaux de quelques centimètres et passe le nez par l'entrebaillement pour voir si je n'ai pas halluciné. Elle se tient toujours à la fenêtre et me dévisage encore. Elle esquisse un petit salut de la main et je disparaît de nouveau derrière le tissu blanc de mes rideaux.

Mon coeur se met à battre affreusement vite, la crise de panique approche. Mes mains s'agitent dans le vide. J'inspire un grand coup pour essayer de me calmer. J'ai l'impression que l'air ne parvient pas jusqu'à mes poumons, ces derniers me brulent de l'intérieur.

Mon porte clé. Il me faut mon porte clé. Mes doigts s'enfoncent dans mes poches en tremblant. Ils agripent l'objet métallique et je le presse contre ma poitrine. Mon rythme cardiaque s'apaise peu à peu.

Quand je suis à peu près calme, j'ouvre la porte de ma chambre et descend les escaliers en me tenant bien fermement à la rampe. Mes jambes tremblent encore. J'atteins la cuisine où mon père est en train de préparer le repas.

- François, tu peux venir fermer mes volets s'il te plait?

- Tu peux pas le faire seul?

- Non. La fille d'en face me fais peur.

- La fille des nouveaux voisins? Avec le chignon bleu?

- Oui.

- Elle est passée tout à l'heure avec ses parents pour faire le tour du voisinage. Elle est mignonne pourtant.

Il accompagne sa phrase d'un regard lourd de sous entendu que je préfère ignorer.

- Pour un individu de sexe féminin elle est potentiellement attirante, mais je ne lui trouve rien de particulier.

Il lève les yeux au ciel et soupire :

- Parfois j'ai l'impression d'avoir raté quelque chose avec toi.

Je baisse la tête et focalise mon attention sur mes pieds. Mon père a toujours été ainsi. A chaque fois que je m'éloigne trop de la "ligne de conduite masculine" il n'hésite pas à montrer sa déception.

- Bon ben je vais te les fermer tes volets...

Le lendemain au lycée, j'arrive en avance comme d'habitude. Je fais ça pour éviter les couloirs bondés qui me donnent l'impression d'agoniser. Je rejoins la salle de math et attends patiemment l'arrivée de la prof et le début des cours. Pour patienter je relis pour la centième fois au moins "Les fleurs du mal" de Baudelaire. C'est de loin mon recueil de poésie préféré. Il m'a fallu plusieurs lectures pour comprendre toutes les métaphores qu'utilise le poète mais maintenant je connais par coeur l'ensemble des poèmes à la virgule près.

La fille au chignon bleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant