1 - Lena

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J'ai trouvé une lettre aujourd'hui. J'étais en train d'emballer les affaires de Maman et j'ai n'ai pas pu m'empêcher de fourrer mon nez dans ses affaires. J'ai l'impression de ne connaître que très peu de détails sur sa vie, son passé, ses jeunes années. Parfois, j'ai encore l'impression qu'elle va débarquer dans la pièce et me tirer dehors pour apprécier le bourdonnement de la ville – et des tacos. Elle adorait les tacos.
C'est bizarre de parler d'elle au passé. Il y a trois jours, elle était encore ici, allongée dans le canapé en train de regarder un épisode de Friends pour la millionième fois, en mangeant du popcorn salé même si elle savait qu'elle n'était pas censée manger autant de sel. Ma mère était la personne la plus drôle, la plus irresponsable et la plus généreuse vivant sur cette terre. Et maintenant, elle est partie. Et il n'y a rien que je puisse faire pour arranger les choses. Tout ce que je peux faire, c'est foutre mon nez dans ses affaires, tout rassembler en trois piles : à donner, à jeter, à garder.

C'est comme mettre des étiquettes sur des souvenirs. Ca ne me paraît pas juste, quand je regarde la pile « à donner » qui ne contient que quelques vieux vêtements et des DVD, comparée à la pile « à garder », pleine de trucs inutiles que je n'utiliserai probablement jamais. J'ai l'impression que je devrais penser plus comme elle, et tout donner à une œuvre de charité, à l'exception des trucs cassés. J'ai recommencé mon tri au moins cinq fois aujourd'hui, et je finis toujours par garder plus que je ne devrais. Mais je ne cesse de voir cette image surgir dans mon esprit, celle d'une femme portant le pull préféré de ma mère, et ça me fait pleurer. Pleurer est devenue ma nouvelle principale activité, et j'ai l'impression de ne plus jamais pouvoir m'arrêter. Je n'ai plus souris depuis si longtemps que je pense que mes muscles ne sauraient même plus comment faire. Je me sens si vide que mes émotions ne semblent plus savoir comment fonctionner, à l'exception de la peine. La tristesse est comme une vieille amie, qui a toujours été là. Et la solitude ? C'est comme un voleur dans la nuit. Alors quand j'ai trouvé cette lettre, j'ai senti, pendant un instant, qu'elle était encore là. Comme si elle pensait encore à moi, d'une certaine façon.

J'ai mis au moins cinq longues minutes avant de m'asseoir et de l'ouvrir. Je la regardais sans vraiment la voir, comme si j'avais l'impression qu'elle allait disparaître. Mais elle était toujours là, entre mes mains, cette enveloppe avec mon nom dessus. Alors je l'ai ouverte, et j'ai commencé à lire.

Lena,
Si tu lis ceci, c'est que je suis probablement là-haut en train de botter les fesses de ta grand-mère pour m'avoir tourné le dos il y a dix-huit ans, quand j'ai décidé de garder le petit passager clandestin sous mon nombril. Ouaip, c'était toi, ma chérie. Je ne t'ai jamais vraiment parlé d'elle, parce que je ne pensais pas que ce serait utile, mais aussi parce qu'elle était une salope alcoolique et égoïste. Est-ce que tu crois que je suis autorisée à utiliser des gros mots au paradis ? Meh, c'est pas grave, c'est pas comme si quelque chose pouvait encore m'arriver !
Je ne veux pas te faire pleurer, ma puce. En fait, je ne veux pas que tu pleures tout court. Et je sais que tu es en train de le faire, maintenant, parce que je te connais. Tu es sensible, comme je l'étais, même si je ne l'ai jamais vraiment montré très souvent. Mais je sais que tu es aussi la personne la plus forte que je connais, probablement la plus forte qui existe au monde, que tu le crois ou non, et je ne m'inquiète pas pour toi. Je sais que tu feras des merveilles à la fac l'année prochaine et dans ta vie en général. Ca commence maintenant, tu sais. Chaque petite décision que tu prend à ce moment précis aura un impact sur le reste de ta vie, et tu vas devoir apprendre à vivre avec les conséquences des choix que tu fais. Alors si tu décides de pleurer toutes les larmes de ton corps et de déprimer toute la journée en pensant à moi, au fait que je ne sois plus là... tu ne prends pas la bonne décision. On était toutes les deux préparées à ce moment, depuis longtemps. Au fond de nous, nous savions que ça allait arriver, n'est-ce pas ? Le cancer fait ça. C'est triste, mais au moins on a pu se dire au revoir. Il y a tellement de gens sur cette Terre qui n'ont jamais eu cette chance. Alors je voudrais que tu te lèves, et que tu vive le reste de ta vie de la meilleure façon qui soit. Tu as le droit d'être triste, mais tu ne peux pas laisser ces larmes guider le reste de ta vie.

Une dernière chose : NE DONNE PAS mes DVD de Friends, ou alors, je te hanterai jusqu'à ta mort !

Je t'aime, de tout mon coeur et de toute mon âme,

Maman.

Je n'ai jamais autant pleuré et ris en même temps. Lire ceci fut tellement difficile, et tellement révélateur aussi. Une fois encore, ma mère a réussi à voir à travers moi, même si elle n'est plus physiquement là. Je sais qu'elle est avec moi, d'une certaine façon... et elle a raison. Je ne peux plus continuer à déambuler comme ça, sans aucune émotion. Je dois avancer... mais comment faire quand je ne sais même pas où je dois aller ?

Je suis restée assise pendant un moment, lisant la lettre de ma mère encore et encore comme si j'avais peur d'oublier à quoi ressemble son écriture. Après qu'une heure soit passée, j'ai plié la feuille en quatre et je l'ai fourrée dans la poche arrière de mon jean. J'ai essuyé mes joues inondées de larmes, j'ai soupiré et j'ai jeté un regard vers tout ce bordel que je suis censée ranger. Je dois faire ça de la bonne façon. Je me levai, et triai encore une fois le tout, jetant tout ce qui n'était plus utilisable ou cassé, gardant la collection de DVD de Friends et le pull préféré de ma mère. Tout le reste termina dans deux grosses boîtes à donner. Pour éviter de douter encore sur mes choix, je quittai la chambre de ma mère et descendit les escaliers, les bras chargés de mes deux boîtes en carton à donner.

Dans le salon, Anna était assise sur le canapé, lisant un magazine. J'avais insisté pour qu'elle ne m'aide pas, je préférais faire ça seule. Quand elle m'entendit arriver, elle se retourna et me sourit. Le genre de sourire qu'elle continue de m'adresser parce qu'elle ne sait pas comment me parler. Anna est la jeune sœur de ma mère. Elle n'est pas du genre à gérer la tristesse ou les tragédies : elle est mal à l'aise, maladroite face à des gens tristes, et elle ne sait pas non plus gérer ses propres émotions. Mais elle est gentille, et aussi drôle que ma mère, et ça fait du bien de l'avoir avec moi. Elle venait toujours pour Noël et Thanksgiving, ainsi que chaque année pour mon anniversaire. Elle est la tante amusante que tous les mômes rêvent d'avoir, le genre qui rapporte les cadeaux les plus fous et racontent les plus incroyables histoires. Maintenant, elle est la seule famille qu'il me reste, et je ne sais pas vraiment quoi en penser.

- Viens, donne-moi ça, dit-elle en tendant les bras vers moi.

Je fourrai les deux boîtes en carton dans ses bras, et elle les déposa dans l'entrée. Des gens d'une œuvre de charité étaient censés les récupérer d'ici quelques heures, ainsi que les meubles qui restaient. Parce que je n'en aurai plus besoin, désormais. J'ai simplement récupéré mon matelas et mon oreiller, qu'Anna a fait livrer chez elle hier. Tout ce qu'il me reste à faire, c'est emballer le reste de mes affaires. Je suis censée passer l'été chez ma tante, en Californie. L'autre bout du pays, où je n'ai jamais mis les pieds. Quand le changement s'amène, il ne fait rien à moitié.

Je me sens complètement perdue et je marche comme un automate. Je fais le tour de l'appartement une dernière fois. Maman a toujours adoré Brooklyn, cet endroit. C'était notre foyer, notre petit nid douillet. Elle avait tout décoré elle-même, du poster de James Dean dans le salon au rideau de douche affublé de chimpanzés dans la salle de bain. Cet endroit résonnait encore de mes souvenirs d'enfance, et je suis sur le point de le laisser derrière moi. Avec elle.

- Tu es prête, ma chérie ?, me dit Anna.

Je me détournai du pan de mur sur lequel ma mère avait marqué les tailles que j'avais pu atteindre en grandissant pour la regarder : elle était debout dans l'entrée, prête à partir. Je hochai la tête, tout simplement parce qu'aucun son ne pourrait sortir de ma gorge : pas avec cette boule qui obstruait mes cordes vocales et menaçait d'exploser à tout moment. Soudain, alors que je m'apprêtai à sortir de cet appartement, celui qui m'a vu grandir et devenir la personne que je suis aujourd'hui, la lettre dans la poche arrière de mon jean se fit plus lourde. Je laisse toute une vie ici, et je n'ai aucune idée d'où aller maintenant.  

Write me a love song [En correction]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant