Lettre 19

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Vendredi 6 novembre

Clara,

Je ne suis pas Louison, malheureusement.

Je ne suis pas cette fille magnifique, douce et intelligente.

Peut-être qu'un jour, vous réussirez à savoir qui je suis. Peut-être...

Enfin.

Je peux vous donner un indice : je suis un garçon. Mais comme je représente la malchance même, je ne suis pas dans le collège de Louison.

Mais, Clara, si je t'écris aujourd'hui, c'est parce que c'est moi qui ai lu les lettres.

Je m'en excuse. Vraiment.

Maintenant je me sens débile, ridicule. Comme ce lapin dans Alice Au Pays Des Merveilles, avec sa petite horloge dans la patte. Ridicule.

Je ne recommencerai plus. J'aimerai le promettre...

Mais si j'ai passé tant de temps à travailler cette lettre, c'est bien que j'ai autre chose à exprimer.

Je pense tout le temps à ta grande sœur, Clara.

J'espère que tu sais à quel point elle est extraordinaire.

   Je vais tout t'expliquer, Clara. Tout. Ça va être long, j'espère que tu as pas mal de temps...

    Louison, je l'ai découverte quand j'avais cinq ans. Toi, tu en avais trois. Et elle, le même âge que moi.
    Nous vivions dans la même rue, dans le même village. Souvent, nous jouions ensemble, tu te souviens ? J'en doute...

     Puis vous êtes parties.

    Maintenant, je vous retrouve. Enfin, pas vraiment. Toi, tu es partie. Tu as laissé derrière une Louison détruite, comme je l'ai découvert.

    Je jouais au foot avec d'autres gars. Et le ballon, j'ignore par quel hasard, s'est retrouvé dans sa chambre (la fenêtre était ouverte).
    Alors, je me suis dévoué pour aller le récupérer.
    Ta mère m'a reconnu, elle était surprise. Moi aussi, d'ailleurs.

    Je suis monté dans la chambre de Louison. Elle était sûrement encore en cours, puisque je ne l'ai pas vue.

   Mais bref.

   L'important est que j'ai fouillé dans son tiroir, par simple curiosité.

    L'important est que j'ai lu ces lettres.

    Je n'arrivais pas à le croire. Que toi, Clara, tu étais partie. Toi, l'enfant souriante et joyeuse.
    J'ignore pourquoi ; je ne veux d'ailleurs pas savoir.

    Depuis ce jour, j'ai commencé à observer Louison.  J'ai prétexté plusieurs choses pour accéder à sa chambre. J'ai même aidé votre père à bricoler quelques trucs. Mais je leur ai fait promettre de ne rien dire à ta grande sœur. J'ai dit que nous nous étions disputés, Louison et moi. Que j'étais amoureux d'elle et que je ne pouvais m'en séparer. Que je voulais l'aider pour les cours.

    Je n'ai pas menti sur tout.

    Bien sûr, je ne venais pas pour déposer des leçons dans sa chambre.

    Mais je l'aimais.

  J'aimerais signer « inconnu ». Ce serait faux. Je ne suis pas tout à fait inconnu. Elle a une photo de nous trois dans sa chambre, au-dessus de son lit. Alors, autant écrire mon vrai prénom.

Eliot

Flocon de Neige Où les histoires vivent. Découvrez maintenant