5 : De feu et de ténèbres

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L'hiver avait enveloppé le monde dans une lourde chape de brume glacée.

Ils étaient redescendus vers le sud. Godwin trouvait toujours autant l'idée d'Eldrid périlleuse, mais il ne pouvait non plus ignorer l'envie viscérale de combattre qui le rongeait également. En souhaitant éloigner Eldrid de la guerre, il tournait le dos à son royaume. Il tournait le dos à tout ce pour quoi il avait œuvré, et à lui-même. Il ne le supportait pas.

Ils avaient rallié Winchester, où on leur avait appris que le roi et sa cour étaient partis à Londres.

Parfois, il haïssait Eldrid de désirer voir l'Angleterre devenir danoise. Cela le révoltait, le révulsait, l'anéantissait. Mais il pouvait aussi comprendre. C'était de sa faute, après tout. Il n'arrivait pas à la guider là où il l'aurait souhaité. Elle était perdue, et elle s'accrochait à son passé avec la force du désespoir.

C'était son moyen de survivre face aux horreurs qu'elle avait vues. C'était sa vengeance face aux actes commis par Godwin. C'était sa résistance face au monde qui s'effondrait.

Mais Eldrid ne pouvait tenir le poids du monde. Godwin non plus. Personne ne le pouvait. L'univers s'écroulait, dans une lente chute irrépressible, et ils parvenaient à peine à faire semblant de riposter face à l'incoercible.

— Nous ne sommes plus très loin. Nous devrions arriver dans quelques jours.

Ils progressaient péniblement à travers la forêt aux branches nues. Les broussailles sèches craquaient sous leur pas, et crispaient le soldat à chaque enjambée. Depuis quelques jours, il sentait l'angoisse d'Eldrid s'amplifier à chaque heure qui s'écoulait.

Godwin s'arrêta soudain à l'orée du bosquet. Une étendue de champs marécageux courait jusqu'aux remparts d'Oxford, qui se dressait fièrement au milieu de la plaine. Le cours d'eau qui s'épanouissait de l'autre côté scintillait dans le soleil couchant. Mais ce n'était pas cela que le Saxon contemplait.

Sur l'autre rive du fleuve, en amont, se dressait un campement, assez vaste pour contenir une armée entière.

Eldrid avait suivi son regard.

— L'armée danoise, souffla-t-elle.

Godwin retint la réplique sarcastique qui lui était montée aux lèvres. Il tâchait d'analyser la situation, ses yeux passant des murailles aux pavillons tout juste discernables.

— Si les Danois effectuent des raids dans la région, crois-tu que le roi puisse se trouver à Londres ? fit Eldrid.

— C'est peu probable. Il ne risquerait pas sa vie ainsi.

Il jeta un bref coup d'œil à la jeune femme. Il n'aurait su dire si son visage exprimait du soulagement à l'idée de ne finalement pas se confronter à Æthelred, ou de la déception. Sans doute un étrange mélange des deux.

— Nous ne pouvons de toute façon pas continuer notre route sans être à découvert.

— Alors que faisons-nous ?

— Arrêtons-nous ici pour la nuit. Si les barbares avancent vers Oxford, c'est qu'ils auront déjà attaqué Londres et que nous pourrons nous y rendre. Une fois là-bas, quelqu'un saura bien nous dire où est le roi.

Ils montèrent un camp sommaire.

Leurs regards glissaient sans cesse vers le campement qui se dressait au loin. Si Eldrid parvenait à jouer un double jeu comme elle désirait le faire, elle finirait tôt ou tard par se retrouver au milieu des guerriers barbares. Il réalisa brutalement qu'il ne pourrait l'y suivre. Il se trouverait parmi ceux qui attaqueraient l'ennemi, qui recevraient l'ordre de charger et de tuer les barbares. Comment pourrait-il la protéger à la fois des Danois et des Saxons ? Comment pourrait-il se pardonner s'il lui arrivait quoique ce fût ?

Thraell 3 : Jusqu'à fouler le chemin de Hel [SOUS CONTRAT D'ÉDITION - ÉDITÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant