1 : Bien et mal

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Godwin quitta le couvert des arbres pour s'engager sur le sentier. Avec un dernier regard, il s'assura que leur antre était toujours invisible, dissimulé par les épaisses frondaisons. Lorsque l'automne arriverait et mettrait la forêt à nu, il leur faudrait trouver un nouveau refuge.

Cela faisait près d'un mois qu'ils s'abritaient dans la grotte. Eldrid ne se plaignait pas de la situation, mais Godwin, lui, ne pouvait plus supporter la vue de ces parois de pierre. Elles lui rappelaient qu'il n'avait plus sa place dans son propre royaume. Eldrid lui avait un jour parlé de l'exil qui attendait les Danois qui avaient commis des crimes. Il pouvait désormais comprendre la cruauté d'un tel châtiment.

Il s'était écoulé suffisamment de temps depuis leur fuite pour qu'Eldrid et lui puissent s'estimer en relative sécurité, sans compter qu'il n'avait pas eu le moindre signe d'une éventuelle recherche de fugitifs. Il ignorait toutefois s'il était considéré comme un traître, s'il pouvait combattre sous l'étendard de l'Angleterre. Lorsque le besoin de lever une armée se ferait sentir, il savait que ni le roi ni aucun ealdormann ne refuseraient son bras.

Le désir intense de reprendre les armes courait dans ses veines, s'embrasait dans ses songes. Il regagnait aussi fréquemment que possible la civilisation, se mêlant à la foule, s'enquérant de la position de l'ennemi, tendant l'oreille pour capter des rumeurs, guettant le moindre signe qui aurait pu leur faire quitter leur caverne, à l'affût du moindre écho qui pourrait le faire retourner parmi les rangs saxons pour repousser l'envahisseur.

Les rues de Waltham portaient encore les stigmates d'une attaque danoise qui avait eu lieu il y avait plusieurs années, cependant le village avait réussi à renaître de ses cendres. En bordure de fleuve, le commerce y était suffisamment important pour que les habitants prospèrent, et pour que les nouvelles y parviennent vite.

Godwin éprouvait une satisfaction mêlée de regrets à entendre les intonations anglo-saxonnes qui peuplaient les rues et les échoppes. Le soldat saxon déambula un long moment, jusqu'à ce qu'une voix attire son attention.

— Tout l'est du Kent a acheté la paix, proférait un colporteur.

Godwin s'approcha.

— Cela fait au moins une semaine que la nouvelle nous est parvenue. Sait-on où sont les Danois actuellement ?

— On dit qu'ils se sont retirés sur l'île de Whight.

Godwin hocha la tête, mais son cœur s'était serré. Son esprit ne pouvait s'empêcher de plonger dans de nombreux calculs. Ils se trouvaient relativement proches de Whight, pris en étau entre l'ennemi et des villes d'importance qui finiraient immanquablement par être pillées.

— Je ne serai pas étonné qu'ils débarquent bientôt dans les environs, ajouta le camelot en faisant écho à ses pensées.

— En effet. A-t-on la moindre idée de ce que le roi projette de faire ?

Un vieil homme s'était arrêté à leur hauteur pour écouter leur discussion, et les fixait d'un œil morne.

— Il ne pourra rien faire, ânonna-t-il. Nous sommes perdus.

Le vieillard agrippa le bras de Godwin, le serrant avec bien plus de force que ne le laissait présager son apparence décharnée.

— Nous sommes responsables du fléau qui s'abat sur nous. Les barbares sont l'œuvre de Dieu, ils accomplissent Sa vengeance, car nous sommes pécheurs ! Nous sommes fautifs du mal qui ronge notre royaume, et nous le paierons de notre vie.

Des murmures d'assentiments et de panique mêlés commençaient à s'élever autour d'eux. Il allait semer la terreur dans toute la ville, et rien de bon ne pouvait naître de la peur.

Thraell 3 : Jusqu'à fouler le chemin de Hel [SOUS CONTRAT D'ÉDITION - ÉDITÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant