Thraell 3 : Jusqu'à fouler le chemin de Hel [SOUS CONTRAT D'ÉDITION - ÉDITÉ]

2 : D'aveux et de changements

La nuit était tombée depuis longtemps, mais Eldrid ne parvenait pas à trouver le sommeil. À quelques pas d'elle, Godwin montait la garde, silencieux, sa dague tournoyante en un ballet hypnotique entre ses doigts. L'image d'une autre lame se superposait dans son esprit, lui ôtant toute envie de dormir.

Le soldat tourna la tête dans sa direction, comme s'il avait pu sentir le frémissement qui venait de la parcourir.

— À quoi penses-tu ?

Eldrid eut un pâle sourire.

— Que si quelqu'un m'avait dit, il y a quelques années, que j'aurais manqué de peu d'être égorgée par Erling Bjarnason, je ne l'aurais pas cru.

Il délaissa son poste d'observation pour se rapprocher d'elle.

— Tu ne devrais pas tant ressasser. Oublie-le. Tu es avec moi, et c'est tout ce qui importe.

Il chercha son regard, et elle détourna vivement les yeux.

— C'est tout ce qui importe pour toi, peut-être, murmura-t-elle. Mais...

Du coin de l'œil, elle vit Godwin se crisper. Il n'aimait pas qu'elle évoque Erling Bjarnason, pourtant elle ressentait le besoin impérieux d'en parler. Les pensées qui tourbillonnaient jour et nuit dans son esprit la hantaient.

— Je ne peux pas l'oublier. Il a toujours été froid, égoïste, manipulateur. Mais il ne m'aurait jamais fait de mal auparavant.

Godwin secoua la tête.

— Tu es aveugle. Lorsque je t'ai trouvée, tu étais mal en point.

— Certes. Mais tu sais très bien qu'il l'a fait pour que je puisse...

— Peu importe ses raisons, il t'a fait du mal. Tu ne peux pas le cautionner. Il n'y a rien d'étonnant à ce qu'il ait recommencé.

— Mais au Danemark... il a voulu me tuer. Il n'aurait jamais fait cela auparavant. Je ne comprends pas pourquoi.

Godwin haussa les épaules.

— Tous les hommes changent pendant la guerre.

La phrase tomba entre eux, lourde et flottante à la fois.

— Pourquoi aurait-il changé ?

— On commet des actes irréparables pendant une guerre. Des erreurs qui nous poursuivent, qui nous hantent, qui nous tourmentent. Des erreurs qui nous modifient profondément.

Eldrid ne put s'empêcher de scruter les traits du soldat saxon.

— Mais toi tu n'as pas changé.

Il eut un sourire amusé.

— Vraiment ?

Elle haussa les épaules.

— Sais-tu comment le massacre des Danois s'est produit ?

Eldrid l'observa un moment, interdite.

— À force de raids et d'invasion, Æthelred s'était persuadé que les Danois qui vivaient en Angleterre allaient comploter contre lui pour le renverser. Je dois t'avouer que je pensais comme lui. Alors, il a fait parvenir des missives secrètes à chaque cité. Les ordres qu'elles contenaient étaient simples. Tuer tous les Danois, afin qu'au crépuscule du jour qu'il avait désigné, toute menace soit définitivement écartée du royaume.

Eldrid ne parvenait plus à respirer, sa gorge réduite à un nœud de souffrance refusant de laisser passer le moindre souffle d'air. La voix de Godwin se mua en un murmure rauque.