12 : Plaine de Vígríd

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Le choc entre les deux armées avait été terrible. Comme une seule et unique vibration, qui se propageait d'homme à homme, qui démantelait membre par membre leur corps de chair et d'acier.

Tout se déroulait dans une netteté floue. Le monde était devenu sanglant, à vif. Godwin n'effectuait plus qu'une suite mécanique d'actions, un enchaînement de mouvements désordonnés et mortels.

Repousser une épée, se baisser pour éviter la hampe d'une lance, sentir une flèche siffler dans l'air. Et la chute des corps sur le sol déjà gorgé de sang, et les circonvolutions de la brume glacée, et les corbeaux planant au-dessus du charnier dans l'attente que le dernier souffle soit exhalé.

L'univers n'était que fracas des armes. Le son s'élevait dans l'air, emplissant l'espace, le temps, la vie.

Godwin eut le temps d'apercevoir un éclat roux dans son champ de vision, provoquant au creux de son être une vague d'inquiétude et de soulagement mêlé. Il entreprit de se frayer un chemin jusqu'à Theodore.

Un géant s'interposa entre eux. La lame ensanglantée de Godwin fouetta l'air, rentrant en contact avec celle du Danois. Il serra les dents, se dégagea, glissa un coup d'œil vers Theodore qui se trouvait pris d'assaut par un ennemi. Il eut à peine le temps de parer l'estoc suivant, décocha un coup de pied dans la rotule de son adversaire qui vacilla. Godwin engagea son glaive dans la garde ouverte de son adversaire pour tracer une plaie béante sur la gorge du barbare.

L'homme du Nord ne s'était pas encore effondré que Godwin bondissait déjà en direction de Theodore, repoussa la hache que celui-ci combattait du plat de sa lame. Il recula devant l'arc de cercle mortel qui fendait l'air. Recula encore devant l'assaut qui montait vers sa gorge. Son glaive s'envola de ses mains.

Godwin esquiva le coup suivant. Il aurait voulu enjoindre à Theodore de courir, mais ses lèvres étaient scellées.

Le monde bascula brutalement, et son dos heurta le sol.

Un éclair métallique fusa vers sa poitrine, et Godwin sentit un étrange sentiment de calme et de révolte mêlés l'étreindre.

Il n'eut pas le temps de mourir.

L'épée de Theodore venait de s'enfoncer jusqu'à la garde dans le cœur du barbare.

Godwin récupéra sa lame et se releva avec lenteur, pendant que le garçon extirpait péniblement son arme.

— Merci, souffla-t-il.

Il agrippa le bras de Theodore. Ses traits étaient recouverts de sang, tordus par le souffle de la mort qui rôdait.

— Tu vas t'enfuir. Rejoins Eldrid à Norwich.

— Mais...

Deux barbares fondirent sur eux dans un parfait ensemble. Plus rapide, Godwin passa la garde du premier.

— Je te couvre ! hurla-t-il tant pour couvrir le fracas des armes que pour le forcer à obéir.

Il repoussa de sa lame la lance qui menaçait de les pourfendre tous deux.

— Maintenant !

Godwin sentit, plus qu'il ne vit, le garçon faire volte-face et se mettre à courir.

Autour de lui, il y avait le fracas des épées, la lutte sauvage et irrépressible pour la vie. Il plongea à nouveau sous les lames, dans le bouillonnement chaotique de la bataille.

Il ménagea une sortie à travers les corps, poussant sans ménagement les hommes, Saxons ou Danois, qui barraient sa route, transperçant de sa lame quiconque s'élançait vers Theodore.

Thraell 3 : Jusqu'à fouler le chemin de Hel [SOUS CONTRAT D'ÉDITION - ÉDITÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant