10 : Croisée des chemins

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Ils entrèrent à Thetford une semaine plus tard.

Eldrid gardait ses distances avec leur nouvelle compagne de route, et avec son enfant.

La ville était paisible. Trop, peut-être. Le peu d'activité qui animait les rues tortueuses résonnait avec dissonance sur les murs de chaux.

Il fallut cependant peu de temps à Godwin pour trouver les renseignements qu'ils cherchaient.

— L'ealdorman a levé une armée ces derniers mois. Elle est partie il y a quelques jours. Seuls quelques soldats sont restés pour garder Thetford, et Theodore n'est pas parmi eux.

— Où sont-ils, alors ?

— Ils se dirigent vers la côte. Personne n'a su m'en dire plus. L'Est-Anglie s'attend à une attaque imminente, mais pour l'heure nul ne sait où les barbares vont frapper.

L'agacement mêlé d'inquiétude qui agitait Godwin était palpable. Eldrid, elle, ne ressentait plus rien qu'une intense fatigue.

— Tu veux dire que Theodore se trouve dans une armée qui s'apprête à se confronter aux troupes danoises ?

— Oui.

Godwin lui lança un regard étrange, comme s'il essayait de déterminer ce qu'elle pouvait ressentir. Et Eldrid, sous la chape de lassitude qui l'ensevelissait, était horrifiée. Que Theodore puisse périr, et de la main d'un homme du Nord, lui était insupportable.

— Nous le retrouverons avant, fit Godwin d'une voix forte.

— L'Est-Anglie est vaste, et entourée de côtes. Theodore pourrait être n'importe où.
Le visage de Godwin lui parut tout à coup si déterminé, si glacé d'une volonté indestructible, qu'elle faillit reculer lorsqu'elle croisa son regard.

— Suivre la trace d'une armée est bien plus simple que de chercher à retrouver un seul individu. Il me semble que tu en sais quelque chose.

Eldrid tressaillit. Elle n'aurait su dire combien de temps s'était écoulé, depuis cette nuit où elle avait rallié l'Est-Anglie pour prévenir les Danois du piège qui allait leur être tendu. Sa première trahison aux yeux des Saxons, et peut-être sa seule véritable.

Une chose était certaine. Godwin était déterminé, comme elle l'avait été alors.


~*~

Eldrid suivit le regard de Godwin, et son ventre se noua.

Sur les champs ravagés se tenait un campement. Il devait pouvoir contenir près de deux mille hommes.

— Ce sont eux. C'est l'étendard d'Ulfcytel, l'ealdormann d'Est-Anglie.

Eldrid lui renvoya un coup d'œil sceptique.

— Ça ne sonne pas saxon.

— En effet. Il descend des Danois.

Elle haussa un sourcil.

— Et il combat contre eux ?

Godwin lui lança un long regard scrutateur, semblant se retenir de faire une remarque acerbe à son égard.

— Ton allégeance va bien à un peuple dont tu ne partages pas le sang, murmura-t-il assez bas pour que seule elle l'entende.

Eldrid leva les yeux au ciel.

— Il a tenté d'acheter la paix, poursuivit-il, et les barbares ont rompu la trêve presque immédiatement en brûlant des villes entières. Il n'a guère eu le choix, sans compter qu'il a marié une des filles d'Æthelred, il se doit de défendre l'Angleterre. J'ai entendu dire qu'il était parvenu à repousser des Danois il y a quelques années. Espérons qu'il y arrivera cette fois-ci également.
Eldrid balaya du regard les champs qui s'étendaient autour d'eux, parsemés de bosquets. Sous les pâles rayons de soleil, les pavillons dressés sur la plaine barraient le paysage d'une touche funeste.

Thraell 3 : Jusqu'à fouler le chemin de Hel [SOUS CONTRAT D'ÉDITION - ÉDITÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant