Les 4 Gardiens

Prologue ✔

Il courait déjà depuis plusieurs heures. Sa longue cape noire et le halo d'ombre qu'il déployait le camouflaient dans la nuit. Il faisait au plus vite, filant sur le sol couvert d'épines et de brindilles de la sombre forêt, tout en veillant à faire le moins de bruit possible. Il devait être invisible.

Ténèbre serrait contre lui son précieux butin emmitouflé de linges. Une larme coulait sur sa joue noircie d'une barbe naissante sans qu'il ne songeait à l'essuyer, trop préoccupé à se concentrer sur sa course. Il ne voulait pas penser à la douleur qu'il causerait, cette terrible souffrance qui ne manquerait pas d'éclater au matin en cris et en pleurs. Non, il pensait à ce que cet acte allait apporter. Devait apporter. La paix, plus profonde et sempiternelle que celle, précaire, qu'ils attendent tous impatiemment. Plus que de sauver son propre monde, il allait sauver les deux.

La forêt s'éteignait sur son passage. Les animaux se taisaient, les Luménions douchaient leur faible lumière et même les plantes semblaient retenir leur souffle. Les ombres qu'il déployait faisaient régner le silence, il était maître en cet art qu'il déployait désormais sans mesure.

Le corps chaud qu'il tenait contre lui commença à s'agiter. Il le sera un peu plus contre son torse drapé de noir pour étouffer un éventuel crie, et cibla un peu de sa sombre aura sur le petit être chétif qui s'immobilisa.

Le ténébreux jeta un rapide coup d'œil au ciel noir qu'il apercevait à travers le feuillage des arbres et confirma sa position grâce aux étoiles, repérant le chemin qu'elles traçaient. Il était bientôt arrivé.

Quelques minutes plus tard, il distingua enfin la fameuse souche d'arbre, identifiable de toutes même dans une telle obscurité par cette forme rassurante qu'il garderait toujours en mémoire. Il s'en approcha, plongea sa main libre entre les feuilles mortes et la mousse, puis tira une petite branche sous les racines. Le mécanisme se déclencha aussitôt dans un grincement sourd qui lui fit serre des dents et la souche s'ouvrit, dévoilant un escalier plongeant dans le noir.

Sans hésiter, il s'engouffra à l'intérieur et referma précautionneusement la trappe avant de descendre, tout à son aise dans cet élément réconfortant.

Il arriva dans la petite salle souterraine en soupirant de soulagement puis s'avança dans la douce lumière de la lanterne posée sur la large table en bois sombre au centre de la caverne. Les flammes dansantes dans leur cage jaune informèrent le ténébreux de la présence de la pyrokinésiste avant même qu'il n'aperçoive sa douce silhouette, en pleine conversation avec l'hydrokinésiste qui éveilla tout de suite son hostilité.

— Il me semblait bien avoir senti l'atmosphère se refroidir, constata sournoisement ce dernier en tournant les yeux vers lui. Bonsoir Ténèbre.

— Heureux de te voir, Gouttelet, fit l'intéressé avec un sarcasme mauvais, mais sans non plus relever la pique.

Le ténébreux passa patiemment devant l'hydrokinésiste pour déposer son précieux paquet sur la table. Il abandonna ainsi le nourrisson entre ses deux compagnons avec un cruel pincement au cœur, puis fit le tour de la caverne en tirant les quelques ombres familières de la pénombre.

— Ça n'a pas été trop dur, Ténèbre ? demanda la douce pyrokinésiste avec compassion.

— Non, rien n'est trop dur pour moi, mentit-il sombrement sans même se retourner.

Si sa fierté lui interdisait d'admettre une quelconque faiblesse, elle était loin de la faire disparaître. Son cœur gardera une entaille profonde à cause de cette épreuve, il le savait.

Il pensa à la détresse de la mère de cet enfant quand elle se réveillerait le lendemain matin, séparée de sa précieuse progéniture pour un temps qu'il ne saurait lui-même déterminer. Il pensa à l'affolement de tout le clan quand cette disparition sera révélée, et à la terrible chasse à l'homme que cela entraînera. Et puis il pensa à la vie chaotique de ce pauvre bambin exilé loin de ses racines, promis à un destin qu'il ne pourra sans doute pas assumer, et dont les gros yeux sombres ont déjà fait leur place sans son cœur noir.