Chapitre 5 : Anna

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Je me sens flotter. Ma tête est emplie de blanc. Je ne ressens rien à part cette douce sensation d'apesanteur.

Puis, mon esprit reprend contacte avec mon corps, et je sens la dureté du sol sous moi. J'entends mon cœur battre à longs intervalles réguliers, et envoyer du sang dans toutes les petites parties de mon être qui se réveille. Je sens la vie revenir dans tous mes membres. Quelle agréable chose que d'avoir des doigts, des jambes et des pieds. Je savoure cette sensation et ma conscience encore dans les vapes redescend peu à peu sur terre.

Mais au fur et à mesure, cette douce quiétude me quitte. Le sol se fait plus dur, ma respiration plus hachée, et ma peau brûlée se réveille. J'oublie vite la sensation de bonheur qui m'avait habitée et je sombre dans la douleur. Mes côtes me font abominablement mal et mes genoux me lancent. Je ne peux plus bouger, et la douleur me brûle à chaque inspirations.

Je sens alors une force inconnue me libérer lentement de la pression qui s'exerce sur ma poitrine. Une fois entièrement débarrassée, je me redresse pour prendre une grande inspiration. Je regrette immédiatement mon geste et l'éclaire de douleur qui traverse mon corps m'arrache des larmes. Je retombe brutalement au sol et hurle sans que le son ne parvient à franchir mes lèvres. Ma tête tourne violemment et je me sens à deux doigts de repartir.

Un flux brûlant se déverse le long de mes bras et de mes jambes, puis quitte mon corps. Mes cordes vocales se libèrent et j'ai enfin la force d'ouvrir les yeux. On m'a enlevé mes lunettes, le monde me paraît tout flou. Mais j'arrive quand même à percevoir ce qui m'entoure.

Je suis allongée dans une salle blanche, recroquevillée sur moi même comme si on m'avait jeté au sol -ce qui, à la réflexion, est sûrement le cas-. De ma position, je ne vois aucune fenêtre, que du blanc. Mes yeux me piquent, je sens un léger goût salé sur ma langue. Un liquide noir s'étend lentement autour de moi, souillant le sol immaculé.

Je referme les yeux et inspire fortement. Des souvenirs me reviennent alors comme des flashs. Je revois une rivière d'ombres, une main noire et un sourire cruel. De l'eau, du feu, du noir. Le visage de Driss, et la douleur. Beaucoup de douleur. Le sol, et encore du noir. Beaucoup trop de noir.

Des émotions commencent à apparaître dans mon esprit, un condensé de haine, de peur et de souffrance. Et aussi un fort sentiment de trahison.

- Ah ! Enfin, notre petite invitée s'est réveillée !

Je sursaute et un petit cri m'échappe. Je perçois des pas qui s'éloignent. Je ne suis pas seule. Les larmes aux yeux, j'essaie de me relever pour voir qui d'autre est dans la pièce. Je me mords la lèvre jusqu'au sang mais j'y arrive. Je devine grâce aux contours de ce visage qui hante mes songes que c'est cette brute aux cheveux noirs et aux yeux rouge qui se trouve devant moi.

Quand je croise son regard, un sourire cruel étire ses lèvre sèches. Une étincelle d'amusement éclaire ses yeux et il s'exclame avec entrain :

- N'est-t-elle pas mignonne ? Prête à souffrir juste pour me voir.

Je ne trouve rien à répliquer. Le sol commence à tanguer et je ferme les yeux.

- Tu ne devrais pas faire tant d'efforts, notre chef serait très déçu si tu meurs maintenant...

Je ré-ouvre les yeux, brûlant d'une haine nouvelle. Mon adversaire n'a pas bougé.

Je sens sous mes mains la présence ténue des ombres qui viennent de me quitter. Je décide alors de les rapeller. Quand Boule-de-feu-man comprend ce que je m'apprête à faire, son regard s'allume de fureur. Il fonce vers moi et pousse mes épaules de ses mains. Je me fracasse au sol et hurle. De son côté, il me plaque et vocifère :

- Je ne t'ai pas amené ici pour que tu te tue aussi bêtement !

Ses mains chauffent et je cri de toutes mes forces. La douleur me brûle, je ne vois plus que du rouge. Je gesticule pour essayer de me dégager, sans plus considérer les décharges que m'envoyent ma taille et mes jambes.

Mais mon adversaire ne me laisse aucune chance de m'échapper. J'appelle le peu d'ombres qui reposent au sol et, de toute la force de ma volonté, je les projette violement dans les mains de mon ennemi. Il se retire en criant et je re-sombre dans le noir, encore plus profondément que la dernière fois.

* * *

Je reviens à moi et la douleur m'assaille aussitôt. Je gémis et reste statique. Après plusieurs minutes, je trouve enfin le courage d'ouvrir les yeux.

Je suis toujours allongée par terre, dans cette même pièce si blanche.

Je referme les yeux et essaie de bouger le moins possible. Je respire mal, par toute petite bouffées, en évitant de gonfler mes poumons.

- Alors, notre belle rebelle est réveillée ?

Si cette voix grave cherchait à me surprendre, c'est raté. Je suis tellement dans les vapes que je ne réagis pas.

Après une courte pose, j'ouvre faiblement les yeux. Quelqu'un se rapproche, et une main se pose sur mon épaule.

Je sens à son contact une douce vague cotoneuse me traverser. Je frémis, je ne sens plus mon corps. J'y reconnais cependant un certain avantage : la douleur si vive est maintenant sourde.

Dans cet état, j'arrive à me redresser. Mon interlocuteur me laisse le temps de prendre connaissance de ce qui m'entoure, avec un regard étonnamment bienveillant.

La salle n'est pas très grande finalement, et bien entièrement tapissé de blanc, porte comprise. Deux personnes sont présentes avec moi : l'homme d'ombre de la dernière fois avec, d'après les détails troubles que j'arrive à voir, une tête beaucoup plus humaine qu'à notre dernière rencontre, et un autre homme un peu plus vieux, plutôt fort et imposant. Il dégage une aura de puissance, et ses yeux très dorés laissent deviner qu'il n'est pas tout à fait humain. C'est lui qui a parlé. Constatant que j'ai fait le tour de ma cellule, il enchaîne :

- Tu as une grande puissance en toi.

Il me regarde droit dans les yeux. Je n'esquisse aucun mouvement et le fixe toujours aussi froidement. Il se rapproche un peu, tout en se tenant à une distance raisonnable. Il ne semble pas inflammable, mais je reste sur mes gardes.

- Dommage que tu ne sache pas l'utiliser, à part pour te tuer...

Son attitude n'est pas menaçante. Il n'avance plus, et je sens dans sa voix qu'il est sincèrement navré. Après une longue pause pendant laquelle il m'évalut, il reprend :

- J'ai donc une proposition à te faire, veux-tu que l'on t'aide à maîtriser ton talent ?

Je le dévisage. Je ne comprends pas vraiment ce qu'il veut dire et mon état d'hébétitude m'empêche d'en prendre conscience. C'est vrai que quand j'ai utilisé mon pouvoir, les ombres m'ont détruitent. Si elles sont à l'origine d'un quart de la souffrance que j'ai subit, j'aimerais bien ne plus les laisser s'emparer de moi. Sa proposition d'apprendre à les contrôler est donc plutôt alléchante. Il semble sincère, mais je sens aussi qu'il omet certaines choses.

- Qu'attendez vous en retour ?

- Pour être honnête, notre objectif serait que tu nous jure loyauté, avoue-t-il avec transparence. Mais je ne peux pas t'y contraidre maintenant, pas après ce que Sanglant t'a fait subir. Et ce serait malhonnête que de monnayer ta sécurité contre ta fidélité. C'est pourquoi je propose que Dark t'entraîne, et que tu remplisse ta part du marché quand tu te sentira prête.

Sa proposition me semble honnête. Il pourrait me faire accepter ce qu'il veut vu l'état dans lequel je suis. Pourtant, il me parle comme à une égale. Grâce à ça, j'arrive à avoir confiance en lui. Son marché m'intéresse franchement, et de toute façon, je ne vois pas ce que je peux faire d'autre que de l'accepter. Après tout, c'est peut être eux les gentils... Avec des fous lanceurs de feu dans leurs rangs, et des méthodes de recrutement douteuses, mais gentils quand même.

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