Chapitre 4 : Driss

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Mes mains tremblent, je les cachent sous la table. Suis-je vraiment en train de proposer à ce gars que je ne connais pas de l'aider à retrouver une fille, que je ne vois que quelques fois en cours, m'exposant ainsi à des psychopathes tueurs surpuissants ? La culpabilité me ronge, mais je ne suis pas prêt à prendre de tels risques quand même... Si ?

Je suis pourtant toujours resté seul. Seul après l'accident, seul quand mon ancien père me battait, seul quand on m'a placé dans une nouvelle famille, seul au lycée où tout le monde me dévisage. Les traumatismes de mon enfance m'ont laissé des marques profondément ancrées, et j'ai décidé de me renfermer.

Le monde ne pouvait pas comprendre ce que je ressentait. À 5 ans, quand j'ai découvert mon pouvoir, j'ai compris que je serais toujours différent. Seul ma propre vie ne m'a jamais importé. Mais depuis hier, j'ai l'impression que ça doit changer.

Je suis au centre d'un système bien plus grand. Ces types ne m'ont pas attaqué sans raison. Quelque chose me dit que même si je fais tout pour l'éviter, je les reverrai. Peut-être les souffrances que m'a infligé mon enfance étaient nécessaires, et que tout était prévu...

Ces questions me prennent aux tripes. Mon existence n'a jamais concerné que moi, et je me demande si elle ne toucherait pas plus de gens finalement...

Tout m'amène à changer d'optique. Hier, Anna m'a sauvé la vie. Rien ne l'y obligeait pourtant, mais elle est quand même venu m'aider. Je ne comprends toujours pas son raisonnement, mais je lui dois beaucoup. Et résultat : ils l'ont enlevé .

C'est pour ça que je suis venu parler à Wally. Ses amis m'avaient fait part de leurs inquiétudes, et moi, qui m'étais toujours promis de vivre pour moi seul, j'étais venu tout lui expliquer. Et la culpabilité qui me serrait le cœur a commencé à s'alléger.

Wally me fixe de ses yeux dorés brillants d'angoisse et, sans me laisser le temps de changer d'avis, je lui révèle tout :

- J'ai suivi de loin nos agresseurs. Après m'être enfuit, je me suis caché à l'ombre d'un bâtiment. Celui qui nous avait attaqué n'a pas pris la peine de s'assurer que j'étais partit. Ta copine a dû beaucoup l'énerver car il s'est tout de suite dirigé vers elle. J'ai attendu longtemps. Je... J'ai entendu hurler... Puis le silence.

Je grimace à l'évocation de la scène, ce cri inhumain vibrait encore dans mes oreilles. Mon auditeur semble au bord des larmes mais s'abstint de tout commentaire, attendant la suite.

- Ensuite, des grognements me sont parvenus, suivit de bruits de pas. J'ai encore patienté quelques instants, le temps qu'ils partent. Quand je n'ai plus rien entendu, je me suis précipité sur la scène. La rue était entièrement vide. L'atmosphère était sombre, encore marquée pas les tours de ton amie si tu vois ce que je veux dire... Enfin, toujours est-t-il que je suis partis dans la direction qu'ils avaient empruntée. Je les ai ensuite vu rentrer dans un local au coin d'une rue. Je ne voyais pas grand chose dans l'obscurité, mais je me souviens d'où c'était.

- Tu m'y emmène ! S'exclame spontanément Wally.

Je le regarde sombrement, encore réticent à m'engager dans cette aventure. Il semble percevoir mon hésitation et marchande :

- Si tu me guide, je veux bien passer l'éponge pour hier soir.

Dans d'autres conditions, je me serais esclaffé. Jamais personne ne m'a monnayé son pardon, et le premier qui aurait essayé se serait retrouvé la tête dans les WC, noyé sous les gerbes d'eau que je créerais. Mais maintenant, ce marché me semble tout à fait honnête.

Je ne veux pas prendre une trop grande place dans cette histoire avant de m'y embourber. Mais si mes impressions sont justes, je suis déjà en plein dedans. Je me trouve alors un arrangement apaisant ma conscience et qui ne nécessite pas que je prenne trop de risques : je vais lui montrer le bâtiment, et je sors vite de cette histoire.

- Ok ça marche, je finis à 5 heure ce soir, je t'y emmènerai, je cède.

Il sourit et commence à manger. Je prends mon plateau et change de table, mais regrette étrangement mon geste un peu plus tard.

Je passe le reste de l'après midi à essayer d'ignorer ma promesse ainsi tous les événements de la veille. En cours, je me concentre sur mes problèmes de maths et sur l'histoire, refusant de regarder la place vide d'Anna et la mine déconfite de Cassie.

Quand la cloche sonne, je prends mon temps pour ranger mes affaires. J'arrive au portail et je marche lentement vers Wally qui m'attend, fébrile. Je lui glisse un "suis moi" rapide et je continue sans m'arrêter. Il ne répond rien et s'empresse de m'obéir. Durant tout le trajet, il marche à coté de moi et conserve son silence. Je n'ai pas envie de parler de toute façon, et il me semble que lui non plus.

Je prends bien soin d'éviter la fameuse rue, j'en suis traumatisé. La sensation de cette main noir qui me serre le coup reste bien marquée dans ma mémoire, de même que ce désespoir qui m'a envahit quand je n'ai plus sentis d'air entrer dans mes poumons. La mort m'a approché de trop près...

Au fur et à mesure que je me rapproche de ma destination, les lieux me paraissent plus familiers. J'ai honte de l'avouer, mais maintenant, je donnerait tout pour faire demi-tour. Ce n'est rien, je me répète, je le laisse et je rentre chez moi, sujet clos.

- C'est ici t'es sûr ? Demande Wally, inquisiteur.

Je hoche simplement la tête, plaquant mes mains sur mon pantalon pour les empêcher de trembler. Je prends un air assuré pour ne pas perdre la face, mais je commence quand même à douter. Mon cœur se retourne dans ma poitrine quand je constate que le bâtiment n'a plus du tout la même tête qu'hier soir.

En plein jour, je peux enfin observer la façade. C'est un immeuble plutôt ancien, typique du centre ville. Le premier étage ressemble à une boutique, mais tout amène à penser qu'elle est abandonnée. Les grandes vitres que j'avais vu noires hier dévoilent maintenant un intérieur vide et décrépit, et une pancarte "À louer" est placardée sur l'une d'entre elles.

Wally me regarde bizarrement, et je ne peux pas lui en vouloir. J'essaie de me convaincre que ma tâche est achevée mais ma conscience ne l'accepte pas. Alors, je traverse la rue et je me rapproche de la boutique. Vide, elle est entièrement vide. Je me retourne, regardant tristement mon compagnon.

- C'était pas comme ça hier soir. Ils sont partis pendant la nuit.

- Si tu le dis, je veux bien te croire... Me dit-il, un peu ébranlé.

Je ressents de la compassion pour lui, il vient de perdre sa seule piste de recherche. Mais il se reprend vite et m'annonce :

- Par contre maintenant, je vais voir la police.

- Tu fais ce que tu veux, mais je viens avec toi. Lui dis-je autant à sa surprise qu'à la mienne.

Ma demande semble le faire douter et je déclare, avant de changer d'avis :

- Allez viens, ne perdons pas de temps.

Les 4 GardiensOù les histoires vivent. Découvrez maintenant