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Ça fait deux jours. Deux jours que Daisy refuse de manger.  Elle dort beaucoup, ses yeux semblent tout petits et encore plus effacés que d'habitude. Elle est plus pâle qu'un fantôme, et ses lèvres sont à vif à force de les mordre. Elle a arrêté de se ronger les ongles, alors elle passe ses nerfs sur sa bouche. C'est comme ça qu'elle fonctionne, Finn le sait maintenant : elle délaisse une mauvaise habitude pour en prendre une autre, elle est incapable de cesser ses pulsions autodestructrices. Les mois se sont succédé, et pourtant, ils errent toujours dans Sonora. Jamais ils ne sont restés aussi longtemps dans un endroit.  Quand le van s'arrête près d'une petite plage, à la nuit tombante, Finn s'assoit en tailleur près de Daisy, sa barquette de frites au ketchup sur les genoux.

- Mange, lui intime-t-il en désignant la barquette d'un mouvement.
- J'ai pas envie.

Ses yeux se gorgent d'eau, et elle détourne le regard au loin. Sa douleur contamine Finn, il déteste ça.

- Tu manges, dit-il plus fermement en détachant chaque syllabe.

Mais elle secoue la tête négativement et l'eau menace de déborder lorsqu'elle pince les lèvres.

- Ça va être encore plus dure quand elles seront toutes froides, insiste-t-il.
- Je veux plus manger.

Sa voix tremble.

- Qu'est-ce que t'es en train de faire, t'essayes de te laisser mourir ? Lance-t-il comme si c'était la chose la plus stupide au monde.

Il trouve sa réponse dans son silence. Il soupire.

- T'es chiante.

Un ange passe.

- Tu sais que t'es pas facile à garder en vie ?

Elle cligne des yeux et les larmes, brûlantes, dévalent son visage glacé. Ben les regarde au loin, les surveille du coin de l'œil. Finn sait ce qu'il pense. Qu'ils ne peuvent pas sauver Daisy, qu'elle est déjà un peu morte, qu'elle va finir de l'achever. Il le lui a déjà dit, du reste, le regard des autres garçons lui suffit pour savoir qu'ils en ont déjà parlé entre eux. Et qu'ils sont tous d'accord. Parfois, il se demande s'ils n'ont pas raison.

- S'il te plaît. Ouvre la bouche.

Il secoue mollement une frite devant sa bouche, et l'écrase contre ses lèvres lorsqu'il n'obtient pas de réaction. Elle le repousse, les joues trempées.

- Arrête, je veux pas !

Et sa voix sonne presque hystérique, aigu et brisée vers la fin. Elle s'en veut d'être folle, Finn essaye de l'aider mais c'est plus fort qu'elle, elle ne sait pas pourquoi. Alors elle pleure encore plus, plonge la tête entre ses mains, se redresse, tire sur les racines de ses cheveux, essuie violemment ses joues en reniflant. Il va cesser de l'aider et ce sera de sa faute. Il va l'abandonner et tout sera de sa faute. À cette pensée, elle ne peut empêcher les hoquets de ses sanglots la secouer. Finn pose sa barquette dans le sable et s'assoit face à elle, la prenant par les épaules.

- Respire, lui dit-il doucement.

Et il joint le geste à la parole, dans l'espoir qu'elle l'imite. Ce qu'elle fait, difficilement.

- Je suis dé-désolée, hoquette-t-elle. Pardon, pardon...
- Chut... C'est bon, c'est rien.
- C'est juste que... j'ai tellement envie de mou-mourir des fois....

Et elle sanglote à nouveau, comme un enfant. Il passe ses mains sur ses joues et essuie ses larmes.

- C'est pas grave.
- C'est-c'est pas-pas grave ?
- Non, c'est pas grave.

Ses yeux se noient dans l'abîme de larmes salées et elle essaye de reprendre son souffle. Elle s'en veut tellement. Finn embrasse sa joue. Elle ferme les yeux, essaye de se concentrer sur sa respiration, sur la sensation de ses lèvres sur sa joue, son corps se détend sous les mains de Finn. Au bout d'une minute, elle a cessé de pleurer, son souffle est de nouveau régulier. Elle se sent très fatiguée, et un tambour bat contre son crâne. Finn ramène la barquette sur ses genoux.

LES MAUVAIS GARÇONS Où les histoires vivent. Découvrez maintenant