La Terre Brisée

Partie 4

 Comme toujours quand il s'apprêtait à gravir la colline nommée "Mont des Dieux", Petr marqua un arrêt afin d'observer attentivement celle-ci. Il était toujours impressionné par ce qu'il voyait.

Bien que le Royaume d'Impor ait son propre panthéon, tous les dieux y étaient tolérés, du moment que leur adoration ne perturbait pas la paix et l'organisation du pays. Et des déités, il y en avait ! Des dizaines de temples jalonnaient la colline, posés ici ou là en fonction de l'ordre d'arrivée ou de la place encore disponible. Et quelques autres bâtiments étaient même encore en construction. Certains étaient élancés, d'autres petits et ronds, parfois ils tenaient plus de la cabane construite de guingois tandis que leurs voisins étaient des œuvres d'art ornées de statues, de rosaces ou de tours aux couleurs chatoyantes. Entre ces édifices hétéroclites se déplaçaient des personnages aussi divers et bariolés que la demeure de leurs dieux et déesses. Des prêtres en robe soyeuse ou en habit simple, des toges dorées ou des tenues succinctes, des coupes de cheveux à rendre fou n'importe quel coiffeur ou des crânes rasés de près... Et tout ce petit monde récitait des prières, interpellait les passants en vantant les mérites et les miracles de son dieu, faisant brûler des herbes ou des bougies parfumées, offrait des sacrifices de nourriture ou de petits animaux, chantait et dansait... Une cohue indescriptible et un brouhaha assommant qui exerçaient pourtant toujours une certaine fascination sur le jeune homme.

Melvin dut lui crier dessus à plusieurs reprises pour le faire sortir de sa rêverie. Ils étaient arrivés devant un temple aux couleurs vives, dont l'entrée était ornée de deux statues. Un homme et une femme, vêtus de voiles qui laissaient amplement deviner des formes propices à la débauche, une des "spécialités" dont la déesse Solanae était la sainte patronne.

Les deux battants de la porte en bois massif s'ouvrirent lentement et une femme mature, au teint hâlé et à l'abondante crinière blanche, vint vers eux. Quand elle vit Melvin, un large sourire s'épanouit sur son agréable visage aux fines rides.

— Oh non, dit celui-ci en se tournant à demi vers son apprenti.

— Que se passe-t-il ? demanda Petr.

— Je la connais ! On est dans la mouise !

Souriante, la femme s'avança au-devant des deux compagnons puis se jeta dans les bras de Melvin. Elle s'exclama :

— Melvin, mon chéri, tu n'as pas changé !

Et elle entreprit de le couvrir des baisers, qu'il tenta d'esquiver en se tortillant. Mais tout à son effusion, la femme ne le lâchait pas et il fallut quelques minutes pour que le vieux mage puisse la tenir un peu à distance. Rouge de confusion, il toussota et fit un signe de tête vers Petr.

— Petr, je te présente Yvaniva. Comme tu l'as compris, nous avons été très proches, il y a longtemps.

— Très proches, c'est un euphémisme, répondit la femme. Je te rappelle que tu m'as épousé et fait un enfant !

Melvin rougit et détourna la tête pour éviter de voir l'expression d'incrédulité qui se dessinait sur le visage de son élève.

— Oui, enfin, c'est du passé, hein. Yvaniva, je te présente mon apprenti, Petr. Je lui enseigne la magie, mais je doute d'en faire un jour un enchanteur correct, ajouta-t-il.

L'apprenti leva les yeux au ciel mais Yvaniva sourit largement au jeune homme.

— Ne t'inquiète pas, dit-elle. Melvin n' jamais bien cerné les êtres qui l'entourent. Que ce soit ses étudiants ou ses compagnes, dit-elle en donnant un coup de coude dans les côtes du vieux magicien. En tout cas, tu les choisis bien, poursuivit-elle. Il est très mignon. Si je n'avais pas l'âge d'être sa grand-mère...

Cette fois, ce fut Petr qui rougit, tandis que son maître soupirait.

— Ah, vous, les adorateurs de Solanae, vous êtes vraiment portés sur la chose !

Yvaniva rit franchement.

— Cela fait partie des préceptes de notre déesse, avoue que c'est qu'une façon agréable de lui obéir ! D'ailleurs, tu t'en es rarement plaint, à l'époque !

Elle prit Melvin par le bras et fit signe de la tête à Petr.

— Allez, venez maintenant ! Nous avons du travail !

Prenant les deux magiciens par le bras, Yvaniva les guida dans le temple.