Partie 10

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Quelques heures plus tard, enfin, au bout d'un moment assez long (car la notion même de temps était abstraite au royaume des cieux), les deux humains virent sortir un grand gaillard musclé à l'air renfrogné, vêtu d'une armure cabossée et porteur d'une épée attachée à son côté. Ils reconnurent sans peine Barken, dont ils avaient déjà vu de nombreuses effigies dans les temples de leur pays. Et sa tenue leur rappelait également l'accoutrement de Golgoth.

Le dieu, visiblement en pleine forme physique, mais de méchante humeur, ne leur accorda qu'un bref coup d'œil, puis s'éloigna d'un pas décidé. Les deux humains s'abstinrent de toute parole ou de tout mouvement.

Peu de temps après, Rinadon vint les chercher et les fit revenir dans l'enceinte sacrée. Les dieux étaient affalés dans leurs sièges et semblaient tous épuisés. Même Felkyan ne paraissait plus aussi fringant. Et Solanae était passablement décoiffée. Le roi du panthéon leur demanda de s'approcher par un petit geste de la main.

— Voilà, tout est rentré dans l'ordre, cet idiot est de retour. Et votre Terre a été réparée.

Les deux humains levèrent la tête. Dans le ciel, leur planète était en effet à nouveau complète et son disque occupait une grande partie de la voûte céleste.

— Maintenant, disparaissez, dit Felkyan d'une voix lasse.

Solanae se mit à sangloter doucement. Petr et Melvin s'inclinèrent profondément puis quittèrent les lieux sans demander leur reste, guidés par le dieu de la Magie.

— Que s'est-il passé ? risqua Petr. Comment les immortels en sont-ils arrivés à tuer l'un des leurs, et à le faire tomber sur notre Terre ?

— Et pourquoi Solanae pleure-t-elle ? intervint Melvin, pensant à ce qu'il allait raconter à Yvaniva.

Rinadon eut un petit rire gêné.

— Et bien, je suis mal placé pour en parler, mais... figurez-vous que les dieux ne fricotent pas qu'avec les humains, et que nos siècles d'existence créent comme une... tension entre certains d'entre nous.

Il soupira.

— Bref, après une grosse dispute entre Felkyan et Solanae, celle-ci s'est ... consolée... ardemment... dans les bras de Barken.

Melvin laissa échapper un juron. Rinadon haussa les épaules.

— Ce sont des choses qui arrivent ! Barken la convoitait depuis des éons. Solanae était en colère contre son mari, ce qui a amplifié la force de l'autre.

Il rit.

— Et puis c'est la déesse de l'Amour et de la Vie, hein, on ne peut aller contre sa nature !

Puis il redevint grave tandis que Melvin pensait fugacement à Yvaniva.

— Quand Felkyan a découvert la chose, il est entré dans une rage terrible, et a menacé de détruire le royaume divin si nous ne l'aidions pas à se venger. Barken l'a alors affronté, et a blessé Solanae qui tentait de s'interposer. Nous avons ensuite piégé ce barbare, et Felkyan l'a envoyé dans le vide sidéral. Hélas, la Terre était sur la trajectoire, d'où le morceau "cassé". Désolé pour le dérangement !

Il rit à nouveau, comme si tout cela n'était qu'une farce de gamins.

— Allez, en route, je vous ramène au portail. Votre mission est finie, il est temps pour vous de retourner sur Impor.

Le dieu et les deux mortels se mirent en marche vers une petite colline proche, où scintillait une arche brillante.

— Il y a quelque chose que vous ne nous avez pas dit, "père", commença Petr.

Rinadon le regarda de côté. Il s'arrêta, soupira et s'adressa à eux.

— Je devine sans peine ce que tu veux savoir, "fils". Oui, je plaide coupable, j'ai affaibli Barken, en le privant d'une partie de sa magie divine. Une tâche difficile, même pour moi, sourit-il tristement.

— Vous avez trahi l'un des vôtres ! dit Petr.

Rinadon prit un petit air gêné.

— Certes... mais va refuser quelque chose à Felkyan, toi ! Et puis, c'est notre chef suprême, nous lui devons obéissance totale...

Le jeune apprenti ne dit rien, mais son visage réprobateur était éloquent. Ils poursuivirent leur chemin jusqu'à un grand disque lumineux, gardé par deux soldats en armure qui semblaient les jumeaux de ceux postés devant le palais.

Le dieu de la magie s'adressa aux deux humains.

— Faites bon voyage et ne nous en voulez pas, nous ne sommes que des dieux !

Il se tourna vers Melvin.

— Faites bien attention à mon fils, et merci de lui dispenser votre enseignement.

Le vieux sorcier soupira.

— Oh, il y a du travail, hein, mais j'espère un jour arriver à quelque chose.

Rinadon s'esclaffa.

— Oh, je n'en doute pas !

Puis il s'adressa à son enfant.

— Tu as du potentiel, mon garçon, alors ne le gâche pas.

Le visage fermé de Petr s'adoucit un instant.

— Je vais travailler dur, et tenter d'être plus sérieux que vous !

Le dieu éclata de rire, puis les poussa vers le disque qu'il anima d'un geste désinvolte de la main. Aussitôt, un paysage apparut dans celui-ci : une vaste plaine d'Impor attendait les voyageurs, et le vomi de Melvin.

La Terre BriséeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant