Appartement 1 : Chez Paulette et René

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PAULETTE : Des fois tu penses au fait qu'un jour je vais mourir ?

RENÉ : Non, et tu ne devrais pas y penser non plus.

PAULETTE : Bien sûr qu'il faut y penser ; pour savoir quoi faire. Tu crois que ça sera quand tu seras en train de pleurer mon départ que tu auras la tête à penser à la couleur de mon cercueil ?

RENÉ : Qui dit que je vais pleurer ton départ ?

PAULETTE : Comment ça, tu ne pleureras pas ?

RENÉ : Pour pleurer, il faudrait que je ne parte pas avant toi.

PAULETTE : Mais, c'est très simple : tu as interdiction formelle de partir avant moi.

RENÉ : Toi aussi.

PAULETTE : Voilà qui nous rend immortels tous les deux ; parfait.

RENÉ : Et ne crois pas m'avoir avec tes questions piège, Paulette. Peu importe la couleur de ton cercueil, vu que tu ne veux pas de cercueil.

PAULETTE : Comment tu sais ça, toi ?

RENÉ : Tu me l'as dit quand on avait vingt ans.

PAULETTE : Et tu crois que je n'ai pas eu le temps de changer d'avis depuis ?

RENÉ : En cinquante ans, je crois que tu aurais trouvé le temps de changer d'avis, mais aussi et surtout le temps de m'en parler si ça avait été le cas.

PAULETTE : Peut-être que c'est justement ce que je suis en train d'essayer de faire ; t'en parler.

RENÉ : C'est le cas ?

PAULETTE : Non. Je voulais juste vérifier que tu t'en souvenais.

RENÉ : Parfaitement. Paulette a vingt ans, c'est notre troisième été ensemble et nous sommes sur la plage. Soudain, son regard se porte au sol. Que voit-elle ? Un oiseau mort échoué sur le sable. Elle a l'air triste. Je lui propose d'enterrer l'oiseau. Elle me répond que la place d'un oiseau n'est pas sous terre ; pas plus que celle d'un humain. Elle prend l'oiseau dans ses mains, monte sur la falaise et jette l'animal comme s'il y avait une chance qu'il vole. Je me dis que cette fille est folle ; et que je veux passer ma vie à être fou avec elle. Je lui indique que la place d'un oiseau n'est pas plus sous l'eau que sous terre.

PAULETTE : Peut-être que cet oiseau avait été sirène dans une autre vie.

RENÉ : Et peut-être qu'il avait été taupe dans une autre vie.

PAULETTE : Je crois qu'on n'a qu'une seule vie ; et je suis heureuse de l'avoir partagée avec toi.

RENÉ : Mais arrête de me faire peur comme ça ; tu ne vas pas mourir demain.

PAULETTE : Ça me manque parfois, cette légèreté que nous avions de pouvoir rire de tout, même de la mort. Elle semblait juste si loin. Si on avait eu cette conversation à l'époque, tu m'aurais demandé "Tu as quelque chose à m'annoncer ?", en riant, sachant que j'étais en pleine santé. Aujourd'hui, tu n'oserais pas, sachant que ce pourrait vraiment être le cas, que je pourrais avoir une mauvaise nouvelle à t'annoncer. Le temps passe et en plus de nous voler la santé, il nous vole l'insouciance.

RENÉ : Je suis toujours capable de te dire qu'à certains endroits de cette planète, la coutume est de laisser les cadavres se faire dévorer par les vautours. Je suis toujours capable de t'indiquer que c'est probablement la méthode la plus écologique, et de te suggérer de l'employer si c'est ce que tu souhaites.

Ça blablate à tous les étagesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant