Chapitre II

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Le dimanche après-midi, j'avais dû me rendre à la demeure Mills, rassembler quelques vêtements supplémentaires. Le chauffeur attitré de Carol, ma belle-mère, était venu me prendre à la gare d'Oldham, qui se trouvait à quelques minutes de mon stage. Je regrettais déjà Zain et ses conneries, apréhendant ces retrouvailles avec ma supposée famille.

Toute personne est censée se sentir à sa place avec les siens, pas vrai? Et bien pas moi. D'où le "supposée famille". Puis les fêtes, c'est cool. Les filles, de l'alcool en abondance, des joints, la musique à fond. Quoi de mieux?

"Oh, putain Louis!"

C'était Eleanor - ou El' pour les intimes - ma demi-soeur, certainement le seul membre de ma famille pour lequel j'en ai quelque chose à foutre.

Elle avait beau avoir tous les défauts du monde, son sourire m'aidait à garder les pieds sur terre.

Je la regardait courir en ma direction, les bras tendus.

El' me prit si brusquement dans ses bras que je fis quelques pas en arrière.

- Oh, excuse-moi, Louis. C'est juste que...

Elle pleurait. Je me suis donc chargé de compléter sa phrase.

- Tu m'as manquée à moi aussi, assurais-je, adoptant le ton le plus rassurant possible.

Je remet ses cheveux en place.

- Tiens, c'est nouveau ces boucles? Tu ressemble à un mouton comme ça.

- Ta gueule, retorqua t'-elle

- Hey, depuis quand, Louis Tomlins...

...a une gueule?

"Lou-is!"

Quelle était cette manie d'appuyer sur chaque syllabe de mon prénom?

Une tierce personne venait s'ajouter au décor, interrompant les rires mêlés de sanglots d'Eleanor.

- Ca-rol! lançais-je, aussi faussement qu'elle.

Je m'approche de ma belle-mère, voulant lui faire la bise mais celle-ci me repousse de ses mains manicurées.

- Voyons Louis, ce n'est pas une manière descente de se vêtir.

C'est quoi son foutu problème?

Après m'être examiné, je répond:

- Je reviens de mon entrainement de football. Un problème?

Eleanor échappa un cri d'étonnement. Elle se demande sûrement comment j'ôse parler à sa mère de cette manière. Carol a l'air aussi outrée que sa fille.

Pas de quoi en faire tout un plat, enfin!

- Tes vêtements... Ces tâches vertes sur tes genoux en sang...
Ça n'a pas le double de mon âge et ça joue les mères. On aura tout vu.

- Je joue pas à la Barbie, putain de merde, c'est normal tout ça! T'aurais préferé que je joue mes matchs, des Weston's aux pieds, peut-être?

C'est sorti tout seul. Ras le bol de cette bimbo à la con. Excusez mon italien. Je suis connu pour être impulsif puis... j'y peut rien.

Je signais sûrement mon arrêt de mort en proférant ces paroles mais j'en ai par dessus la tête de toutes ces remarques.

À ma grande surprise, Carol-la-bimbo ne répond pas. Elle se contente de secouer la tête, la bouche grande ouverte laissant entrevoir des dents aussi blanches que les murs d'un appartement refait à neuf, me fixant droit dans les yeux. Eleanor, quant à elle, avait oublié comment respirer. La scène me réjouit.

J'emprunte les grands escaliers en marbre rose de l'aile gauche afin de me rendre à ma chambre. Je repense à ce qu'il vient de se passer puis j'explose de rire.

Mon Dieu, la tête qu'elles tiraient!

Je sais d'avance qu'elle va appeller mon père, que ce dernier va être furieux, que je vais être privé d'assister au prochain match de Manchester United, que je vais devoir présenter mes excuses à Carol devant la maisonnée au complet, qu'elle s'en fera à coeur joie mais cela en valait la peine.

Un peu plus tard dans la soirée, alors que je n'ai pas assisté au dîner, quelqu'un frappe à ma porte.

"Oui?"

Eleanor ouvre doucement la porte.

- Qu'est qu'il y a?

- Euh rien... Je peut entrer?

Elle n'attend visiblement aucune réponse de ma part car la seconde d'après, elle fait déjà l'étoile sur les draps en satin de mon lit.

- Tu sais qu'elle ne changera jamais alors pourquoi lui avoir parlé de cette façon?

...

Youhou, Louis je te parle!

...

Louis, putain!

- Quoi, El'?

- Détournes le regard deux secondes de ton ordi et réponds à ma question.

- Je peux très bien faire les deux.

Eleanor me prend brusquement le Mac des genoux et le ferme.

- Mais rends-le moi!

- Pourquoi est-ce que tu lui a parlé de cette manière?

- Pourquoi est-ce qu'elle m'a snobé de cette manière?

- Pourquoi est-ce que tu y es allé aussi fort?

- Pourquoi est-ce qu'elle m'a méprisé ainsi?

- Pourquoi est-ce que t'es si génial?

- Pourquoi est-ce qu'elle... Attends. Quoi? Enfin, merci je le savais déjà mais...

- Primo, réserve ton baratin de séducteur aux ados avec qui tu couches. Deuxio, je meurs d'envie de lui parler comme ça mais j'ôse pas.

Rebellion en vue ou...?

- Pourquoi t'ôses pas?

- Les conséquences qu'il pourrait y avoir.

- Tu sais, on va pas t'ammener sur le bûcher.

- Sur le bûcher? Comme Jeanne d'Arc?

- Si tu veux, El'...

Son cas est désespérant...

- Bah je sais. Déjà, y'a pas de bûches dans le jardin et puis pourquoi me brûler? Je suis si jeune et si jolie. Non, je parlais plus de conséquences comme être privée d'aller à une fête ou à un concert, tu vois? On est quand même plus au Moyen-Âge, Louis...

Si, il y a des bûches dans le jardin. Elle fait semblant d'être comme ça ou c'est moi? C'est pas possible autrement. Ça doit être moi en fin de compte...

Je m'allonge tout doucement en m'enveloppant dans mes couvertures. J'ai le sentiment que la soirée va être longue. J'écoute Eleanor en fermant les yeux, tout en sachant que je vais m'endormir sous peu. Bonne nuit, Mouton. Dans huit heures, direction le Campus pour 5 jours de cours supplémentaires.

INTROSPECTION || H.SOù les histoires vivent. Découvrez maintenant