« Peu importe à quel point les hommes sont sincères et de confiance lorsqu'ils essaient de connaître ou présument connaître leurs humeurs et leurs habitudes de pensées respectives ; en fin de compte, on a l'impression qu'à cause de leur incapacité de se connaître, bien qu'ils communiquent avec les mêmes mots, tout est resté non-dit ».
Charles Ives, Essais avant une sonate.
La musique de Charles Ives connaît un essor récent dans les conservatoires et salles de concert européennes ; en France, on peut saluer notamment les efforts de l'ensemble Intercontemporain et en particulier de David Robertson pour défendre sa musique, ainsi que ceux de Leonard Slatkin (grand chef américain, actuel directeur musical de l'Orchestre National de Lyon). Ives est également joué régulièrement par de nombreux orchestres et solistes. Chez nos voisins européens l'engouement semble également gagner les salles : à titre d'exemple, la symphonie No.4 fut programmée par le Lucerne Festival Academy Orchestra sous la direction de Peter Eötvös en 2012 (avec la clé une semaine d'études autour de l'œuvre pour de jeunes musiciens). Ives fut même au programme pour une épreuve d'orchestration au CNSM de Paris en 2016 : il s'agissait en effet d'orchestrer le premier mouvement de la Concord Sonata. Vaste sujet quand on sait que d'autres (notamment Henry Brant) sont passés par là !
La musique de Ives est donc bien vivante, y compris en Europe. Elle mérite néanmoins davantage de visibilité. Les compositeurs européens contemporains ont tendance (pas tous, heureusement !) à retomber dans leurs vieux défauts et à se revendiquer d'une école particulière, d'un mouvement bien défini. La liberté artistique de Charles Ives, compositeur dont la musique n'était même pas la profession, nous rappelle qu'il est possible d'exploiter les richesses du passé tout en créant des œuvres qu'aucun académisme, aucun esprit de clan ne sauraient ternir.
Une des œuvres les plus célèbres de Ives, The Unanswered Question, est aussi l'une des plus mystérieuses : cette courte pièce pour cordes, quatuor de flûtes et trompette solo (placés à différents endroits de la salle) pose la « question perpétuelle de l'existence » sans pouvoir, comme son titre l'indique, y apporter la moindre réponse. Sous-titrée Un paysage cosmique, l'œuvre est un petit testament musical et spirituel de Ives, car outre la dichotomie permanente entre tonalité et atonalité, elle contient en substance l'essence des interrogations profondes de Charles Ives sur l'Homme et la vie. Le titre fait une fois de plus référence à Emerson et son poème Le Sphinx (Leonard Bernstein le reprendra d'ailleurs pour sa série de conférences Harvard dans les années 1970). Après quelques minutes où flûtes et cordent interviennent tour à tour sans parvenir à trouver la réponse à la question posée avec insistance par la trompette, ils s'effacent peu à peu et, après leur disparition, la question est posée pour la dernière fois et l'on entend à nouveau le silence, dans une solitude que plus rien ne trouble. Pour reprendre les mots d'une note de programme de la Philharmonie de Paris en 2016, « comme pour prolonger au-delà des limites de l'œuvre cette « Question laissée sans réponse » qui est celle de notre existence dans l'univers, un point d'orgue surmonte encore la double barre venant clore la partition, une fois les dernières notes évanouies dans le silence ».
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Charles Ives
Non-FictionS'il y a bien un compositeur, dans le monde de la musique dite classique, dont la vie et le processus créatif furent totalement hors normes, c'est bien le pionnier américain Charles Ives (1874-1954), icône nationale aux Etats-Unis et pourtant encore...