Charles Edward Ives naquit en 1874 dans une famille distinguée de la Nouvelle-Angleterre, à Danbury, Connecticut.
Ses aïeux, depuis l'arrivée en Amérique au XVIIème siècle, étaient des notables respectés de cette petite ville industrielle : presque tous furent banquiers, avocats ou propriétaires terriens. La famille Ives, originaire du Dorchester en Angleterre et arrivée à Boston en 1635 sur le navire Truelove, s'était bâti une solide réputation, notamment par son implication dans les groupes locaux: chœur d'église, fanfare, œuvres de charité... George Ives, le père de Charles, était un véritable homme-orchestre : capable aussi bien de jouer du piano pour accompagner une danse que de l'orgue pour la messe, il savait également jouer de plusieurs autres instruments à vent et à cordes, était capable de diriger un orchestre ou un chœur, et savait transcrire et arranger des partitions en un temps record. Comme son fils plus tard, il aimait expérimenter et observer les phénomènes sonores "accidentels", comme écouter deux musiciens jouant deux morceaux totalement différents dans des tonalités opposées, ou deux fanfares se rejoignant sur la place de la ville en juxtaposant des airs aux rythmes antagoniques – ce que George Ives lui-même appelait déjà des expériences de « musiques simultanées » .
Il prodigua lui-même des cours de piano et d'orgue à son fils Charles, et ce dès l'enfance. Ives se montra particulièrement doué dans le second instrument, et à treize ans seulement il était déjà organiste à l'église de congrégation de West Street, à Danbury. Il s'amuse déjà à cette époque à composer des petits morceaux divers, y compris des marches pour la fanfare de son père (comme Holiday Quick Step). Quelques années plus tard il est organiste à la First Baptist Church de Danbury, et donne ses premiers concerts. C'est à cette époque qu'il compose ses Variations on America pour orgue, sans doute sa première œuvre majeure, qui fut d'ailleurs excellemment orchestrée par William Schuman en 1962 (une version très jouée aux Etats-Unis depuis).
Charles Ives doit beaucoup à son père, personnage iconoclaste qui fut musicien dans l'armée unioniste.
On raconte que lors du siège de Petersburg pendant la Guerre de Sécession, le président Abraham Lincoln aurait, à l'occasion d'une cérémonie, remarqué la qualité de l'harmonie militaire, et aurait demandé à son bras droit, le Général Ulysses S. Grant (futur président des Etats-Unis), de quel groupe il s'agissait. En l'occurrence, c'était le Brigade Band of the First Connecticut Heavy Artillery, dont le chef n'était autre que George Ives, alors âgé de seulement dix-sept ans, patriote loyal empreint de convictions abolitionnistes comme toute la famille Ives.
La curiosité musicale de George Ives l'amenait par exemple à diviser une octave pour produire des intervalles plus petits que le demi-ton, devançant en cela de plusieurs décennies les compositeurs européens. Il fut l'un des premiers à tenter l'expérience. On sait aujourd'hui qu'un piano construit en 1864 à Moscou permettait de réaliser ces sons, et qu'à une exposition d'inventions à Philadelphie en 1865, le physicien allemand Karl Rudolf Koenig fit la démonstration d'un appareil tonométrique divisant 4 octaves en 670 parties. Il est peu probable que Ives père ait eu connaissance de cet appareil – du reste, il s'essaya lui-même à inventer (sans trop de succès) un instrument qui consistait en 24 cordes de violon tendues sur un étendoir à linge, et un autre formé d'une multitude de verres de tailles diverses pour produire des intervalles très petits. Il conçut également un « instrument » qu'il appela « humanophone », qui se composait d'un groupe de chanteurs ayant chacun sa propre note à produire sur demande, ce qui lui permettrait de produire des lignes mélodiques complexes y compris avec des chanteurs amateurs - une idée bien curieuse qui anticipe d'une certaine manière le pointillisme de Webern. « Mon père avait une sorte d'intérêt naturel pour les sons de toutes sortes, connus ou inconnus, « mesurés » comme tels ou non », racontait Ives, cité par Henry Cowell. « Une fois, on lui demanda: « Comment pouvez-vous supporter d'entendre ce vieux John Bell. . . il chante complètement faux...» Sa réponse fut: « John est un excellent musicien... Ne faites pas trop attention aux sons. Si vous le faites, vous risquez de rater la musique. Ce n'est pas avec des petits sons tout jolis que vous serez transportés au paradis ! ». Ces expérimentations paraissaient à l'époque pour le moins farfelues mais, quoi qu'il en soit, cette atmosphère de curiosité permanente suscita chez le jeune Charlie un goût pour l'originalité et un rejet des académismes, faisant fi des moqueries et des regards amusés. Quand George Ives mourut le 4 novembre 1894, ce fut un choc immense pour le jeune Charles (« je ressentis un vide total », dira-t-il des années plus tard), qui décida de poursuivre ses expérimentations musicales en sa mémoire.
![](https://img.wattpad.com/cover/174408047-288-k214411.jpg)
YOU ARE READING
Charles Ives
No FicciónS'il y a bien un compositeur, dans le monde de la musique dite classique, dont la vie et le processus créatif furent totalement hors normes, c'est bien le pionnier américain Charles Ives (1874-1954), icône nationale aux Etats-Unis et pourtant encore...